Expertise médicale pour la mise sous protection juridique

Quand une procédure classique tourne à l’imbroglio

Publié le 20/06/2011
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LE PETIT MONDE des médecins habilités, inscrits sur la liste du procureur de la République, ne cesse d’exprimer son incompréhension à l’égard de l’affaire Bettencourt. « Comment peut-on rédiger un certificat sans voir la personne ? », « Comment des éléments médicaux peuvent-ils fuiter ? »,« Est-il réellement besoin de 3 experts ? » Les professionnels égrènent leurs interrogations. Car habituellement, si elles demandent du temps au médecin, les procédures de mise sous tutelle ou curatelle sont très bordées et rarement polémiques au niveau médical.

D’abord, n’est pas agréé qui veut. Si la loi de mars 2007 (qui remplace celle de janvier 1968) ouvre la liste « à tout médecin, spécialiste ou non, que le procureur de la République considère comme susceptible de répondre à la mission de diagnostic et de pronostic de l’altération des facultés de la personne », les psychiatres, gériatres, neurologues sont les plus demandés. Les médecins doivent montrer patte blanche. Pour obtenir leur habilitation, ils écrivent au procureur, en fournissant un curriculum vitae, une lettre de motivation, leurs diplômes, et tout autre document témoignant de leurs compétences. « On m’a notamment demandé les expertises que j’avais produites pour des gardés à vue », se souvient Bénédicte Gohier, psychiatre, praticien hospitalier au CHU d’Angers. Ami West, gériatre au centre hospitalier de Lens, agréée depuis le 15 décembre 2010, a pour sa part été reçue en entretien par le procureur adjoint de Béthune, à qui elle a détaillé ses capacités dans sa filière. Et hors de question pour ces médecins de rédiger un certificat pour l’un de leurs patients. « Nous ne devons même pas connaître la famille pour ne pas être soupçonnés d’une quelconque connivence », précise un médecin généraliste strasbourgeois inscrit auprès de la cour de Colmar, qui souhaite garder l’anonymat.

Le dossier ne suffit pas.

Une fois réquisitionné par le juge des tutelles ou sollicité par le requérant (qui peut être la famille, l’assistante sociale, un proche...), le médecin procède à un examen complet de la personne susceptible d’être placée sous protection juridique. « Je ne comprends pas comment des professionnels ont établi un certificat sans rencontrer Mme Bettencourt », s’insurge Christine Avez, gériatre dans la région lilloise. « Jamais je ne me contente du dossier médical, c’est pour moi une faute médicale grave ! », tonne le généraliste de Strasbourg. « J’ai besoin de voir la personne pour effectuer un examen physique puis cognitif, et, comme je suis généraliste, je demande souvent un avis sapiteur auprès d’un psychiatre, ou le cas échéant, j’épluche les certificats qu’on me remet », poursuit-il. Bénédicte Gohier, du CHU d’Angers, procède pour sa part à un examen psychologique, pour identifier l’humeur, l’anxiété, ou la confusion de la personne, et à un test neuropsychologique pour identifier les capacités de compréhension, calcul, orientation dans le temps et l’espace. « Je m’assure également que le patient sait lire, car même avec une compréhension correcte, des personnes illettrées peuvent être abusées facilement et c’est un problème qu’elles n’osent pas aborder. »

Si elle n’a pas le dossier médical à portée de main, le Dr Gohier se renseigne auprès de l’assistante sociale, du médecin traitant, ou des spécialistes qui ont suivi le patient. « Lorsque les personnes sont hospitalisées, c’est encore plus simple car j’ai accès directement aux scanners, IRM… ». La famille et les proches sont également consultées. Ces démarches ne sont pas propres à la psychiatre. Christine Avez, bien que de spécialité différente, procède peu ou prou aux mêmes examens physiques et psychologiques.

Troisième étape, la rédaction du certificat dans lequel le médecin propose une mesure de protection juridique est plus que jamais encadrée. Certains procureurs, comme ceux du tribunal de grande instance d’Angers ou de Béthune, confient même une note d’une quinzaine de questions aux professionnels. Tout au long de la procédure, le secret médical reste la règle d’or. Le certificat est envoyé directement au procureur ou au juge, en cas de réquisition, ou à la famille, sous pli scellé à l’attention du juge. La procédure, ainsi ficelée, laisse peu de place aux dérives déontologiques.

Argent = tensions

Si les conflits explosent souvent devant le juge, le rôle des médecins ne les expose pas autant. « Les querelles au sein des familles, essentiellement lorsqu’elles sont recomposées ou qu’il y a de l’argent en jeu, sont fréquentes. Si les relations sont bonnes, les parents se contentent des procurations. Mais ce n’est pas à nous de décider qui sera le mandataire, nous proposons simplement une mise sous tutelle ou curatelle », relativise Ami West.

Les médecins ont surtout pour tâche d’expliquer et, dans le meilleur des cas, de faire accepter, la mesure à la personne dépendante. « Ce n’est pas toujours évident, car les psychotiques, par exemple, estiment que les malades, ce sont les autres », explique le généraliste de Strasbourg. « J’ai reçu hier trois enfants d’un boulanger qui vient de décéder en laissant derrière lui un beau patrimoine, mais la fille, qui a des problèmes psychiatriques, le laisse à l’abandon. Les deux frères souhaitent la protéger, et préserver l’immobilier familial, mais elle reste inabordable : ce genre de situation est vraiment compliqué, mais c’est au juge de trancher », détaille-t-il. Dans la moitié des cas, les personnes finissent par accepter les mesures de protection. Ou n’en ont pas conscience. Les médecins, eux sont rarement informés du fin mot de l’histoire, dicté par le juge des tutelles.

> COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 8985