L A tolérance d'un receveur à un greffon est un processus qui a fait l'objet d'un grand nombre d'observations mais dont le - ou plus vraisemblablement les - mécanisme(s), restent discutés. A priori, deux configurations sont possibles : l'immunité s'adapte au greffon ou le greffon s'adapte à l'immunité. Chez l'animal, au moins, ces deux mécanismes semblent pouvoir exister, et peut-être coexister.
Chez l'homme, où l'on n'a guère l'occasion d'observer, comme chez l'animal, l'installation d'une tolérance immunologique à des greffes successives provenant du même donneur, on se penche surtout sur les mécanismes d'adaptation du greffon. Ici encore, deux hypothèses. Soit les cellules du donneur s'adaptent, par un mécanisme ou par un autre, à l'environnement immunologique.
Des cellules du donneur remplacées par des cellules de l'hôte
Soit ces cellules du donneur - une certaine proportion d'entre elles - disparaissent à plus ou moins longue échéance, pour être remplacées par des cellules de l'hôte. Cette seconde hypothèse est celle du chimérisme, qui a fait l'objet d'un certain nombre de travaux, au niveau des cellules circulantes, d'une part, au niveau de l'épithélium vasculaire, d'autre part. Si un chimérisme se produit, l'épithélium vasculaire de l'organe transplanté, qui constitue la première interface avec l'hôte, constitue en effet un site d'observation a priori privilégié.
La notion d'un chimérisme cellulaire donneur/receveur au niveau de l'épithélium vasculaire est en fait très ancienne, puisqu'elle a été avancée dès 1962 (Peter Medawar). Les tentatives de confirmation n'ont toutefois abouti qu'à des résultats contradictoires. Chez la souris, le phénomène semble effectivement se produire dans des greffes de peau. Chez l'homme, les premières études, menées sur le critère des groupes ABO, semblaient trancher en faveur d'un chimérisme. Le groupe ABO peut toutefois être considéré comme un critère insuffisamment discriminant. La présence, sur une cellule, des déterminants antigéniques ABO du receveur, ne prouve pas, en effet, qu'il s'agit bien d'une cellule du receveur, les sucres constituant ces déterminants antigéniques pouvant fort bien être modifiés de l'extérieur, par voie enzymatique. D'autres travaux ont donc suivi, prenant cette fois pour critère les antigènes - protéiques - du CMH, ou la présence d'un chromosome Y dans le cas de transplantation inter-sexe. Avec ces critères, a priori plus rigoureux, les résultats sont devenus négatifs : pas de chimérisme épithélial.
ABO, CMH, chromosomes sexuels
L'équipe néerlandaise a donc repris les recherches, dans le cadre de la transplantation rénale, et en combinant cette fois les trois approches : identification du groupe ABO, caractérisation du CMH, enfin, recherche des chromosomes sexuels du receveur dans les cellules épithéliales du greffon. Dans une première phase, portant sur des biopsies effectuées chez 12 patients, la possibilité de développement d'un chimérisme cellulaire au niveau épithélial a bien été confirmée. La proportion de cellules du receveur présentes dans les vaisseaux apparaît à la fois variable et indépendante de l'ancienneté de la transplantation.
Dans un deuxième temps, la recherche de chimérisme a été renouvelée chez 26 patients, dont 13 avaient connu des épisodes de rejet (6 rejets interstitiels, et 7 rejets vasculaires). Une étroite corrélation a pu être établie entre le degré de chimérisme (pourcentage de cellules du receveur) dans les capillaires péritubulaires, et la survenue d'un rejet, d'une part, et le type de rejet, d'autre part. Ainsi, chez 9 des 13 patients sans rejet (69 %), aucun chimérisme n'a pu être mis en évidence. Chez 5 des 6 patients avec rejet interstitiel (83 %), un chimérisme a été constaté, les cellules du receveur constituant toutefois moins d'un tiers de la garniture endothéliale. Enfin, chez 6 des 7 patients avec rejet vasculaire (86 %), plus du tiers de l'endothélium provenait du receveur.
Une histoire à problème
Tout en confirmant la possibilité du chimérisme épithélial, ces résultats montrent donc que, contrairement à la représentation qu'on s'en faisait initialement, le phénomène n'est pas associé à une bonne adaptation de l'organe, mais, au contraire, à une histoire « à problème » de la transplantation. Pour les auteurs, l'explication la plus simple est que des cellules épithéliales circulantes du receveur se substituent aux cellules du donneur, lésées par l'immunité. On comprend ainsi l'association entre chimérisme et rejet - entre rejet et chimérisme, plus exactement.
Cette association est plutôt inattendue : on s'attendait plutôt à trouver le chimérisme associé à une bonne tolérance. Le résultat obtenu n'implique toutefois pas que le chimérisme soit un phénomène délétère. Manifestement, l'implantation de cellules du receveur n'est pas l'explication de la tolérance qui s'installe dans le meilleur des cas : cette tolérance procède d'autres mécanismes. Pour autant, lorsqu'une évolution défavorable se dessine, il est possible que le chimérisme contribue à l'enrayer, par le biais d'un effet modérateur sur le rejet. En d'autres termes, le chimérisme n'est clairement pas associé à un bon pronostic, mais peut-être l'est-il à un moins mauvais pronostic.
Ces interprétations demandent naturellement à être vérifiées. Si tel est le cas, la notion soulevée par Jordan S. Pober (Yale University) dans un éditorial du « Lancet », selon laquelle l'injection de cellules épithéliales autologues, après culture ex vivo, pourrait améliorer le pronostic des épisodes de rejet aigus, méritera d'être évaluée.
E. L. Lagaaij et coll. « Lancet », 2001 ; 357 : 33-37.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature