SHU atypique

Retour sur la révolution de l’eculizumab

Publié le 17/12/2015
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Si les greffes de rein multiples ne sont pas rares chez les patients atteints de syndrome hémolytique et urémique atypique (SHUa), la sixième transplantation réalisée en janvier 2015 chez une patiente âgée de 46 ans, suivie depuis l’enfance à l’hôpital Necker (Paris) fait figure d’exception. Cette histoire clinique hors norme permet de prendre la mesure des avancées réalisées ces dernières années dans la prise en charge de la maladie.

Il y a sans conteste la prouesse chirurgicale de la sixième greffe rénale, réalisée en 2015 par le Pr Arnaud Méjean (Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris), « pour la première fois en France » et « l’une des premières fois au monde ». L’intervention était particulièrement complexe. Son succès doit aussi beaucoup au développement de l’eculizumab, qui a transformé le pronostic des patients ayant un SHUa.

Pronostic sévère

Avant l’arrivée de l’eculizumab, il n’existait pas de traitement efficace, le SHUa était une maladie catastrophique dans la plupart des cas. La prise en charge reposait sur les échanges plasmatiques ou les transfusions de plasma. Deux patients sur 3 développaient une insuffisance rénale terminale avec recours à la dialyse et à la greffe. Le risque de rechute sur le greffon est de 50 % toutes mutations confondues à 5 ans mais peut atteindre 70 % pour les mutations les plus sévères. Après la perte de 2-3 greffons, les patients étaient condamnés à rester en dialyse.

À partir des années 2000, de grandes avancées ont été faites dans la compréhension de la physiopathologie de la maladie. Le rôle central du complément a été mis au jour, ce qui a ouvert la voie à l’emploi de l’eculizumab, un anticorps monoclonal inhibiteur du complément. Cette molécule est utilisée depuis 2007 dans l’hémoglobinurie paroxystique nocturne. Elle constitue un progrès considérable dans le traitement du SHUa et a obtenu une extension d’AMM fin 2011. l’eculizumab bloque le clivage complément et la génération du complexe d’attaque membranaire. Il stoppe ainsi la lésion initiale, ce qui laisse la possibilité au rein de réparer les lésions si elles ne sont pas trop avancées. L’eculizumab est également efficace sur les manifestations extra-rénales, neurologiques ou cardiaques (1, 2).

En prévention des rechutes.

La chirurgie crée les conditions d’emballement du SHU. C’est pourquoi l’eculizumab est administré en prévention des rechutes dès la période préopératoire de la greffe. L’intervention rajoute en effet des agressions endothéliales, ce qui explique le risque très élevé de récidive. La patiente suivie à l’hôpital Necker avait perdu, parfois très rapidement, certains greffons en raison d’une récidive précoce. De plus, dans son cas très particulier, d’autres greffons avaient été perdus par rejet immunologique, ce qui fait que l’intérêt de l’eculizumab était double chez elle, certaines données suggérant un effet anti-rejet.

L’eculizumab a révolutionné le SHUa. Il permet de sauver des reins natifs mais il permet également d’ouvrir des perspectives en matière de greffe chez des sujets, parfois très jeunes, qui étaient condamnés à rester en dialyse en raison d’un risque très élevé de récidive.

Des questions en suspens.

Le monitoring de l’efficacité du traitement par eculizumab repose sur une évaluation clinique et biologique simple (thrombopénie, fonction rénale, hémolyse) et sur les tests biologiques permettant d’estimer si l’inhibition du complément par l’eculizumab est optimale : le CH50 (objectif : ‹ 10 %) et, dans un proche avenir, le dosage du taux plasmatique résiduel de l’eculizumab libre. En dehors des marqueurs classiques de thrombopénie, de la fonction rénale, d’hémolyse et dans certains cas d’histologie rénale, nous ne disposons pas aujourd’hui de biomarqueurs fiables pour prédire la réponse du SHUa à l’eculizumab. Les marqueurs d’activation du complément ou de souffrance endothéliale sont prometteurs mais nécessitent encore d’être évalués dans des études prospectives. La durée optimale du traitement du SHUa par eculizumab reste encore débattue. Actuellement, l’AMM mentionne un traitement à vie. Chez les patients à très haut risque, c’est indiscutable mais en cas de très faible risque, la discussion reste ouverte.

L’idée d’un traitement par eculizumab à vie a en effet été remise en question du fait des contraintes - administration du produit par perfusion tous les 15 jours pendant des décennies -, mais aussi du risque de méningite à méningocoque du fait de l’inhibition du complément, et enfin du coût important du traitement. Par ailleurs, certains patients peuvent présenter des périodes longues de rémission sans aucun traitement particulier. La décision d’arrêter ou non l’eculizumab dépendra de plusieurs facteurs : présence ou non de mutations des gènes du complément et type de mutations, âge du patient, normalisation ou non des paramètres rénaux, souhait du patient, etc. Une étude prospective coordonnée par le groupe français d’étude du SHUa va évaluer le risque de rechute après l’arrêt de l’eculizumab au cours du SHUa et l’utilité de certains biomarqueurs dans la prédiction du risque.

(1) Zuber J, et coll., French Study Group for aHUS/C3G. Use of eculizumab for atypical haemolytic uraemic syndrome and C3 glomerulopathies. Nat Rev Nephrol 2012; 8: 643–657.

(2) Legendre CM, et coll. Terminal complement inhibitor eculizumab in atypical hemolytic-uremic syndrome. N Engl J Med 2013; 368: 2169–2181.

Dr Gérard Bozet

Source : Le Quotidien du Médecin: 9459