La CARMF torpillée par le système universel ?

Retraites des médecins libéraux : les risques de la réforme Macron

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Publié le 18/02/2019
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Alors que la crise des gilets jaunes complique déjà l'agenda politique de la réforme des retraites, une étude souligne les risques spécifiques pour les 123 000 médecins libéraux du système universel promis par Emmanuel Macron, amené à remplacer 42 régimes distincts. 

Commandé par l'Union française pour une médecine libre (UFML-Syndicat) et rédigé par l'économiste libéral Frédéric Bizard, ce rapport* de 80 pages – que « Le Quotidien » s'est procuré mais qui sera détaillé ce mardi – examine l'impact de la réforme Macron pour la profession, sur la base des paramètres déjà connus (système public par répartition et par points, âge légal à 62 ans, financement sur les revenus jusqu'à 120 000 euros, soit trois plafonds annuels de la Sécurité sociale – PASS).

Cigales et fourmis

Sans contester la légitimité de la réforme systémique voulue par Emmanuel Macron, l'étude conforte les craintes déjà exprimées par le président de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) qui, dans nos colonnes, évoquait dès juin 2018 « le vrai risque de disparaître » de cette caisse professionnelle septuagénaire. 

De fait, le scénario retenu d'un régime universel financé par les cotisations sur les revenus jusqu'à 120 000 euros « condamne les régimes complémentaires » comme la CARMF, tranche le rapport, dès lors qu'il englobera 94 % des cotisations et deux tiers des praticiens cotisants. Interrogé par « Le Quotidien » en novembre 2018 sur la raison d'un régime universel au périmètre aussi large, le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, avait justifié ce choix pour répondre « de la façon la plus solide possible aux aléas du futur », tout en évitant un schéma assurantiel individuel. L'ancien ministre avait épinglé certains « discours alarmistes » des patrons de caisses professionnelles, tout en reconnaissant que ces dernières « seront impactées ».

C'est là où le bât blesse. Selon le rapport de Frédéric Bizard, la remise en cause partielle ou totale de la CARMF aboutira à des dommages collatéraux. « Il se poserait la question de l'avenir des quelque sept milliards d'euros de réserves », insiste l'économiste, précisant que « la tentation de l'État de récupérer ces réserves est grande », quoi qu'en dise le gouvernement. « Le sort des cigales serait mélangé avec celui des fourmis », peut-on lire, à l'heure où de nombreux régimes sont déficitaires. « Toute mainmise de l'État sur ces réserves sera légitimement un casus belli des professionnels contre l'ensemble de la réforme », alerte le document. Jean-Paul Delevoye a promis à cet égard qu'il n'y aurait aucun tour de passe-passe pour absorber les dettes du public dans les régimes excédentaires. Pas suffisant pour convaincre…

L'étude rappelle aussi que la CARMF, même si elle a été critiquée par les experts de l'IGAS pour sa gestion, avait su adopter « une stratégie offensive de placements financiers [...] avec un rendement moyen annuel de 5,8 % depuis 2004 ». Les futurs gestionnaires pourront-ils atteindre une performance équivalente ?

ASV, contrepartie au conventionnement

Autre grief : un régime universel supprimant les caisses professionnelles – ou les réduisant à peau de chagrin – serait forcément délétère pour les médecins libéraux qui bénéficient aujourd'hui de « solidarités particulières » historiques grâce à la CARMF (prévoyance, invalidité, action sociale pour soutenir les confrères en situation de fragilité, etc.). « Les régimes complémentaires sont régis par des règles et un esprit différent car le socle de la solidarité est professionnel », analyse le rapport.

En clair, les spécificités de la carrière médicale et de l'exercice libéral, avec ses aléas et ses contraintes, supposent une caisse dédiée autonome qui amortisse les chocs. Le rapport fait ici le lien avec l'article 56 du code de déontologie qui souligne que les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité et se doivent assistance.   

En l'absence de caisse professionnelle, Frédéric Bizard s'interroge sur le pilotage du futur régime universel et sur le choix des opérateurs. L'éxécutif sera-t-il le seul pilote pour gérer et distribuer la retraite, ce qui signerait l'étatisation ? Y aura-t-il une gestion partagée avec les corps intermédiaires ? Peut-on envisager des délégations de service public ? 

Taux de cotisations, le grand flou 

Quant au régime ASV, « contrepartie au conventionnement » qui représente 35 % de la pension moyenne, sa survie semble « problématique », note le rapport. Si l'intégration de l'ASV est possible dans le système universel, sa transcription reste à définir, principalement pour conserver la prise en charge des cotisations sociales en secteur I. 

Financièrement enfin, le rapport évoque un saut dans l'inconnu pour la profession avec le système universel. Demain, salariés du privés et fonctionnaires cotiseront au même taux cible proche de 28 % (part salariale + part patronale) alors que les indépendants, assujettis aujourd'hui à des taux beaucoup plus faibles, devraient bénéficier d'un régime de contribution « adapté ». Lequel ? Mystère ! Pour les médecins libéraux, la situation est d'autant plus incertaine que le taux cumulé de cotisations (base, complémentaire, ASV) varie aujourd'hui de 16 à 35 % selon le revenu et le secteur d'exercice.

* Analyse économique et perspectives d'avenir du système de retraite des médecins libéraux, février 2019.

Cyrille Dupuis

Source : Le Quotidien du médecin: 9725