Après avoir travaillé dans divers dispensaires, jusqu’à leur fermeture en 1986, avec celui qui allait devenir son associé, le Dr Jean-Pierre N a ouvert un cabinet de médecine générale à Paris. Fan de Martin Winckler dont il a lu tous les opus, il se reconnaît entièrement dans son héros emblématique, Bruno Sachs.
Êtes-vous ce que l’on pourrait appeler un « grand lecteur ?
Pas trop. Je lis dix à quinze livres par an. Un peu plus pendant les vacances où je lis trois ou quatre livres.
Certains personnages rencontrés dans vos lectures ont-ils influencé votre pratique ?
Instantanément, je pense au « Royaume » d’Emmanuel Carrère à cause de Luc. C’est un des quatre évangélistes et il se trouve qu’il était médecin. Carrère ne le met pas en scène comme pratiquant la médecine mais comme suivant Paul. Je ne peux pas dire que son personnage m’influence puisqu’il n’exerce pas la médecine mais le fait qu’il soit médecin m’intéresse tout particulièrement. Peut-être que je me dis qu’à un moment donné il va bien finir par soigner des gens…
Sinon, il y a évidemment Martin Winckler avec « La Maladie de Sachs », surtout, et tous les autres livres qui ont suivi. Quand c’est sorti, ça a été un choc. Dire que ça m’a influencé dans ma profession, c’est peut-être beaucoup dire, mais sans doute un peu quand même. J’ai vraiment eu une sensation forte : « P… c’est exactement moi ! ». Je me retrouvais complètement dans le personnage de Sachs. Les attitudes et la façon de le mettre en scène, les gens qui lui disent : « Tu as une sale tête aujourd’hui, pourquoi tu es en retard ? ».
Un de vos jeunes confrères m’a dit avoir détesté « La Maladie de Sachs » parce que c’était un long monologue, une sorte de « sur-épanchement » intellectuel d’un médecin dépressif. Qu’en pensez-vous ?
J’ai découvert qu’il y avait des gens qui n’aimaient pas ce bouquin. Ainsi cette femme médecin qui m’a dit : « Je n’ai même pas pu le terminer ce bouquin », avec le plus grand des mépris. Je n’ai pas voulu entrer dans la discussion mais je n’ai pas compris. Certains aussi n’aiment pas Winckler car ils trouvent qu’il frime, qu’il a un ego surdimensionné. Tout cela n’empêche pas que, pour moi, il a vraiment fait du bien.
Et puis, plus récemment, il y a eu « Le Chœur des Femmes »…
J’ai moins aimé celui-là pour le coup, je l’ai vraiment trouvé trop donneur de leçons.
Il y a aussi « En soignant, en écrivant », écrit juste avant « La Maladie de Sachs »…
J’ai bien aimé ce livre, mais ce sont plus des récits qu’un roman. J’ai adoré l’histoire de la tension artérielle. C’est génial une page qui se termine par « Et alors là, je mens » ! Je me suis écroulé de rire. C’est exactement ce que je pense mais que je n’ai jamais osé dire mais, lui, il l’écrit ! C’est ça qui me plaît.
Est-ce le fait de vous reconnaître en Bruno Sachs qui donne leur intérêt à ces livres ? Son exercice est un peu différent du vôtre quand même non ? À commencer par fait qu’il exerce en campagne ?
La médecine à la campagne a ses particularités, mais c’est anecdotique. Ici aussi, il y a aussi des particularités de « titis » parisiens. Je me retrouve tout à fait dans la façon dont est relatée la mort, dans l’ambiance, les comportements de Sachs. Et aussi, dans cette façon de mettre en scène et de décrire les patients. Cela me touche énormément.
Ce sentiment de solitude de Bruno Sachs vous vous y retrouvez ?
Oui, c’est d’ailleurs ce qui est écrit sur la quatrième de couverture. Mais qui soigne la maladie de Sachs ?
Quand avez-vous découvert ce livre ?
Quand il est sorti, en 1998. Puis j’ai lu quasiment tous les autres dans la foulée !
Vous avez vu le film ?
Oui, il est « vachement » bien. Il est signé Michel Deville avec un Albert Dupontel complètement maîtrisé. J’ai été étonné que ce soit Deville qui fasse ce film mais, d’un autre côté, ce bouquin méritait bien que ce soit lui qui le fasse. On y voit un Dupontel sérieux, comme dans « Le Bruit des glaçons » de Bertrand Blier où il joue le rôle du cancer de Jean Dujardin
Êtes-vous d’ailleurs plus influencé par d’autres types de supports artistiques, comme le cinéma ?
Non, pas trop, cependant il y a un autre livre adapté au cinéma qui m’a marqué, c’est « L’Adversaire », d’Emmanuel Carrère. On ne peut pas dire que le personnage m’a influencé (Jean-Claude Romand qui pendant 18 ans fit croire qu’il était médecin avant de tuer sa femme, ses parents et ses enfants, ndlr) car c’est un médecin mythomane, qui a inventé sa vie. Ca fait réfléchir toutefois : est-ce possible d’être médecin, ou presque, et d’en arriver là ?
Il n’y a pas que des médecins dans les romans, il y a aussi la maladie…
C’est vrai. Par exemple, dans « Chair Tombale », le premier livre du Pr Philippe Cornet, il n’y a pas beaucoup de médecins mais le malade au premier plan, dans toute son acceptation, son poids, sa pensée.
Et vous-même, écrivez-vous ?
Pas du tout. J’ai toujours pensé que j’écrivais mal. Même un compte rendu !
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