« Ce n'est qu'un début. C'est juste une preuve de principe qui montre que, avec une thérapie génique correcte, ces cellules non sensorielles dans la cochlée adulte ont la capacité de devenir des cellules ciliées », souligne le Dr Yehoash Raphael, professeur d'ORL à l'université d'Ann Arbor (Michigan), qui a dirigé ces travaux. « Cela ouvre la voie au développement d'applications cliniques pour traiter la surdité », explique-t-il au « Quotidien ». Toutefois, il reste encore un long chemin à parcourir. « Nous espérons que d'autres groupes se joindront et participeront à ces efforts. »
Dans une oreille normale, les vibrations des ondes sonores frappant la membrane tympanique sont transférées, dans l'oreille interne, au fluide situé à l'intérieur de la cochlée. Lorsque le liquide cochléaire bouge, il stimule le mouvement de milliers de poils sur les cellules ciliées tapissant l'intérieur de la cochlée. Les cellules ciliées (des mécanorécepteurs) déclenchent alors des signaux électriques, qui sont captés par les fibres des nerfs auditifs, lesquels transmettent cette information au cortex auditif dans le cerveau.
Les cellules ciliées perdues ne sont pas renouvelées
Si les cellules ciliées sensorielles sont endommagées et perdues pour diverses raisons (vieillissement, exposition à des sons trop forts, infections virales ou bactériennes, médicaments ototoxiques), il s'ensuit une perte auditive. Cette perte est irréversible car les cellules ciliées ne sont pas renouvelées.
« Durant le développement embryonnaire d'un mammifère, les cellules ciliées et les cellules de soutien de l'épithélium sensoriel auditif ont une même origine. Les cellules qui expriment le gène Math1 deviennent des cellules ciliées, tandis que l'expression de Math1 est inhibée dans les cellules de soutien », explique le Dr Raphael.
« Après le développement embryonnaire, la production des cellules ciliées s'arrête. A la différence des autres épithéliums, l'épithélium de l'oreille interne ne contient pas de cellules souches pouvant renouveler ces cellules. C'est la principale raison pour laquelle la perte des cellules ciliées est définitive. »
Toutefois, on a découvert en 1988 que les oiseaux sont capables de régénérer spontanément leurs cellules ciliées endommagées, grâce à la transdifférenciation des cellules de soutien.
« Nous savions que la transdifférenciation des cellules de soutien était une source majeure de développement des nouvelles cellules ciliées chez les oiseaux », poursuit le Dr Raphael. « Mais il n'y avait pas de preuve que cela pouvait marcher chez les mammifères. Nous avons commencé des expériences de thérapie génique en 1994, et il nous a fallu sept ans pour développer une méthode pour introduire avec succès le gène Math1 dans l'épithélium cochléaire non sensoriel. »
Kawamoto, Raphael et coll. ont utilisé un adénovirus comme vecteur pour délivrer le gène Math1. Ils ont injecté chirurgicalement le vecteur Math1 dans l'endolymphe cochléaire de l'oreille interne de 14 cochons d'Inde adultes. De un à deux mois après l'inoculation, ils ont examiné l'épithélium cochléaire. Ils ont constaté une surexpression de Math1 dans les cellules de soutien, ainsi que l'apparition de nouvelles cellules ciliées immatures dans l'épithélium sensoriel et dans des zones voisines où les cellules ciliées sont généralement absentes.
De surcroît, ils ont découvert que des axones poussent vers certaines de ces nouvelles cellules ciliées, ce qui suggère que ces cellules ciliées peuvent attirer les neurones auditifs.
Les chercheurs concluent que « les cellules non sensorielles dans la cochlée mature conservent la capacité à générer de nouvelles cellules ciliées après surexpression de Math1 in vivo ».
« L'oreille interne est une cible idéale pour la thérapie génique, car elle est fermée, mais non scellée, seulement bien isolée », souligne le Dr Raphael. « Tant que la quantité inoculée est faible, la dissémination aux autres organes est minime, et le risque de toxicité systémique est quasi nulle. »
Animaux âgés et animaux complètement sourds
Les chercheurs doivent maintenant démontrer que les nouvelles cellules ciliées sont fonctionnelles et capables de transmettre le signal aux neurones auditifs. Ils devront aussi augmenter l'efficacité de la procédure et déterminer quelle est la survie à long terme des nouvelles cellules. Ils envisagent aussi de tester cette thérapie génique chez des animaux âgés et des animaux complètement sourds.
« Nous utilisons actuellement des vecteurs viraux, qui ne sont pas parfaits. Avec un peu de chance, la technologie s'améliorera et de meilleurs vecteurs seront disponibles. »
« Journal of Neuroscience » du 1er juin 2003.
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