Tuberculose multirésistante : MSF s'indigne de l'indifférence internationale, néfaste pour la recherche

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Publié le 21/03/2018

Les espoirs suscités par l'arrivée de deux nouveaux médicaments pour les patients atteints de tuberculose multi-résistante risquent d'être douchés par l'indifférence générale qui entoure la tuberculose, alerte l'ONG Médecins sans frontières (MSF), en amont de la journée mondiale du 24 mars.

« La tuberculose est redevenue la première cause de mortalité par maladie infectieuse, devant le sida », déplore le Dr Francis Varaine, responsable du projet End TB. En 2016, 10,4 millions de nouveaux cas ont été recensés dans le monde (contre 8,8 en 2010), ainsi que 1,7 million de morts (vs 1,3 million en 2010) – soit quatre fois plus que le paludisme, souligne l'ONG.

La tuberculose multirésistante représente 600 000 nouveaux cas en 2016, dont seulement 125 000 sont diagnostiqués, et encore moins traités (120 000), avec 50 % de chances de succès. De plus, 260 000 personnes en sont mortes en 2016.

La révolution Bédaquiline et delamanide… pour 10 % des patients ! 

« C'est un changement spectaculaire dans le pronostic » d'une tuberculose multi-résistante qu'ont apporté la bédaquiline, autorisée par la FDA en 2012, et le delamanide, approuvée par l'EMA en 2013, souligne le Dr Varaine. Les deux nouvelles molécules apparues depuis 50 ans. Mais à l'espoir, succède immédiate la « frustration et la consternation » de constater que « moins de 10 % des patients qui en aurait besoin » y ont accès.

Paradoxalement, c'est en France (moins 5 000 cas par an, 100 cas de bactéries multirésistantes – dernier bilan dans ce BEH) qu'une petite cohorte a été constituée, avec des patients du sanatorium du centre hospitalier de Bligny, pour étudier l'efficacité et la sécurité de ces traitements. « On a eu plus de 80 % de guérison, on a pu faire avancer la recherche, sur la durée et la composition des protocoles, et nourrir les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) », explique le Dr Mathilde Frechet-Jachym, pneumologue au CH de Bligny.

Les difficultés d'accès aux traitements à l'étranger ont plusieurs raisons, identifie le Dr Varaine : le manque de formation et d'information sur ces molécules, les barrières réglementaires (au motif que les AMM sont conditionnées à la réalisation d'une étude de phase III, certains pays ferment leur porte), et le manque de moyens pour le diagnostic et le suivi des patients. Les traitements, de 18 mois à deux ans, restent lourds, avec des effets secondaires (toxicité rénale, oculaire, auditive, hématologique, hépatique, cardiaque, à surveiller par ECG). « Enfin, il y a un certain conservatisme du monde de la tuberculose à l'égard des innovations, par crainte de développer de nouvelles résistances », ajoute le Dr Varaine.

Des premiers résultats prometteurs

Pour accélérer la diffusion des traitements et la recherche, MSF a lancé le 1er avril 2015 le projet End TB, en partenariat avec Interactive research and development et Partners in Health, et avec le soutien d'Unitaid. Quelque 2 600 patients atteints de tuberculose multirésistante devraient avoir accès aux nouvelles molécules, dans 17 pays ; en parallèle, un essai clinique a démarré en 2017. Les premiers résultats présentés en octobre 2017, sur une cohorte de 356 patients, révèlent un taux de conversion des cultures de 80 % avec les nouvelles molécules, chez les personnes à l'état de santé le plus complexe. Un autre essai sur une nouvelle molécule sans AMM, pretomanid, est en cours, également à l'initiative de MSF : practecal.

Les autres données relatives à ces nouveaux médicaments, produites dans le cadre d'études portées par MSF en Arménie, Géorgie, ou encore Inde (qui concentre 1/4 des cas de tuberculose) et Afrique du Sud, sont aussi encourageantes.

Mais le champ de la recherche reste immense : trouver les combinaisons les plus pertinentes avec le moins d'effets secondaires, simplifier la galénique, améliorer le confort pour le patient, développer l'accès aux tests génotypiques, trouver des marqueurs simples pour évaluer l'efficacité d'un traitement, élaborer une cartographie des résistances, améliorer le vaccin pour les enfants, etc.

« Seulement un tiers des financements nécessaires à atteindre l'objectif de l'OMS de la fin de la tuberculose en 2035, a été débloqué en 2017. Il manque six milliards de dollars, sur neuf milliards », déplore le Dr Varaine, qui espère une prise de conscience de la communauté politique internationale. Après la journée mondiale, une réunion de haut niveau sur la tuberculose en septembre 2018 en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, sera l'occasion de porter « notre indignation », promet MSF. 


Source : lequotidiendumedecin.fr