IL S’APPELLE David, il s’appelle Laurent et, tous les deux, ils s’aiment. Et s’aimer, cela veut dire pour eux construire une famille, donc avoir des enfants. Un désir de plus en plus assumé en France, en Europe et dans le monde. Selon l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (Apgl), le «phénomène des familles homoparentales» concernerait plusieurs centaines de milliers de personnes dans notre pays (et plusieurs millions en Europe). Se fondant sur plusieurs études, dont une réalisée en France en 2000 par une équipe médicale qui a comparé le développement de 58 enfants élevés dans des familles homoparentales à celui d’enfants d’un échantillon de la population générale, l’association conclut qu’aucune différence significative n’est perçue entre les deux groupes, «qu’il s’agisse du développement psychologique, de l’identité sexuelle, de l’estime de soi, de la réussite professionnelle ou de l’orientation sexuelle».
Sexualité « non conforme ».
Le hic pour David et Laurent, c’est qu’évidemment il leur est techniquement impossible d’avoir leur propre enfant. Et, légalement, les choses ne sont pas plus simples. L’adoption est interdite aux couples homosexuels en France au motif de leur «sexualité non conforme». Elle est autorisée au Québec, en Colombie britannique, au Portugal, en Suède, en Angleterre, au Pays de Galles et dans les provinces d’Aragon et du pays basque, en Espagne. Le recours aux mères porteuses est interdit pour tous dans notre pays. L’insémination artificielle avec donneur (IAD) l’est également, du moins pour les personnes célibataires ou homosexuelles, contrairement à ce qui se passe en Belgique et aux Pays-Bas, où l’IAD est autorisée, indépendamment de l’orientation sexuelle et du statut matrimonial des demandeuses.
Comment naissent les enfants des familles homoparentales ? Ils peuvent être issus d’une union hétérosexuelle antérieure ou bien ils ont été adoptés par un seul membre du couple homosexuel. Ou encore ont–ils été «conçus à quatre», dans le cadre d’un projet de «coparentalité», d’une mère lesbienne et d’un père gay, eux-mêmes entourés ou non de leur partenaires respectif. Les gays français ont, pour leur part, de plus en plus recours à des agences américaines qui proposent des «grossesses de substitution».
Dans tous les cas de figure, l’autorité parentale n’est pas partagée. La mère ou le père « social » n’a aucun lien légal avec l’enfant qu’il élève pourtant. Et le récent rapport de la mission Famille de l’Assemblée nationale ne risque pas d’arranger les affaires de David et de Laurent. Il conforte en effet l’interdiction de l’adoption pour les couples homosexuels. «Nous avons parfois honte de notre passeport français», lâche David.
Une maternité accessible.
Julie est interne en médecine. Sa compagne est enceinte de cinq mois. Elle attend des jumeaux. «Nous sommes ensemble depuis huit ans. La maternité a toujours été une évidence, mais lorsque l’on s’est connues, on avait 20ans, on n’y pensait pas. Maintenant qu’on a fini nos études, on en a envie, comme tout le monde. Nous ne sommes pas de la génération de lesbiennes qui devait encore faire son deuil de la parentalité. Donc, pour nous, cela n’a jamais été quelque chose d’inaccessible.»
Julie et sa compagne sont allées en Belgique pour recourir à une insémination artificielle. «La coparentalité me paraît beaucoup trop compliquée. Et puis, c’est faire rentrer des gens dans notre intimité. Pour nous, cela doit rester un projet à deux.» En Belgique, le donneur de sperme n’est pas identifié. «Nous avons su, mais trop tard, que, aux Pays-Bas, le géniteur peut être connu. Moi, j’aurais préféré que nos enfants puissent mettre un visage sur lui. Et puis, nous aurions pu demander à utiliser le même sperme, cela nous aurait permis de maintenir un lien entre nos différents enfants. Maintenant, nous ne pouvons pas revenir en arrière et nous ne voudrions pas créer une discrimination entre nos enfants, ceux qui pourraient et ceux qui ne pourraient pas rencontrer leur père biologique.»
Car Julie et sa compagne, toutes deux issues de familles nombreuses, entendent bien engendrer une longue lignée. «Nous n’avons aucun problème avec nos proches. Ce qui nous fait le plus réfléchir, c’est notre entourage professionnel. Jusqu’ici, nous ne parlions pas de notre homosexualité mais il va falloir le dire, être sûres de nous, de nos convictions, parce que si, nous, n’assumons pas nos positions, comment nos enfants se sentiront-ils à l’aise?», s’interroge la future « maman sociale », qui prévoit déjà de devenir la maman biologique pour la prochaine grossesse. Au-delà de l’amour que ces deux femmes sont prêtes à donner à leurs enfants, est-il si simple pour elles d’assumer le regard que portera la société sur ces enfants privés de papa ? «D’un point de vue statistique, nous ne sommes ni les premières ni les dernières. Nous savons que ce sera un élément discriminant pour nos petits, comme les enfants de divorcés il y a vingt ans. Je ne suis pas sûre qu’un jeune obèse soit vraiment bien perçu aujourd’hui dans une cour d’école. Après, faut-il s’empêcher de faire des enfants à cause de cela? C’est sûr qu’il y aura des problèmes, mais on fera de notre mieux.»
Selon la loi française actuellement en vigueur, Julie n’aurait pas le droit d’aller chercher ses enfants à l’école, du moins ces deux premiers qui ne seront pas sortis de son propre ventre. «On attend les élections 2007, on espère que cela fera partie des propositions.» Il y a deux semaines, la Cour de cassation a rendu un arrêt encourageant pour les couples homosexuels, autorisant au parent légal la délégation de tout ou partie de l’autorité parentale à son partenaire (« le Quotidien » du 28 février). La mission Famille de l’Assemblée a elle aussi dans son rapport plaidé en faveur de la reconnaissance du rôle du parent social, via une « délégation de responsabilité parentale ». Dans quinze jours, les deux mamans sauront si elles attendent des jumeaux, des jumelles ou bien... un garçon et une fille.
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