On n’a jamais vu ça. Officiellement, selon le Haut Conseil de l’ONU pour les réfugiés, Kutupalong abritait fin août 620 000 réfugiés Rohingyas qui ont fui la Birmanie pour le Bangladesh.
Mais selon le Dr Jacques Bérès qui vient de passer trois semaines sur site, on est proche aujourd’hui du million de réfugiés. « Le record était détenu jusqu’à présent par les camps de Jordaniens, ici il est pulvérisé, constate-t-il. Sur des kilomètres, à perte de vue, les tentes, les baraquements en planches et en tôles s’enchevêtrent à flancs de collines, offrant un spectacle inimaginable de désolation. Ça vous donne la nausée », confie le french doctor pourtant aguerri depuis un demi-siècle à tous les théâtres de l’inhumanitaire.
À Kutupalong, poursuit le cofondateur de plusieurs ONG médicales, les grandes associations sont présentes et font du bon boulot : Médecins sans frontières, la Croix-Rouge, le Programme alimentaire mondial et autres structures onusiennes et internationales. Des structures médicales turques et malaisiennes sont aussi opérationnelles. Mais, sur le plan chirurgical, c’est la panade : quelques blocs fonctionnent, mais seulement à temps partiel.
Bientôt une makeshift clinic
Le Dr Bérès s’est rendu en Birmanie avec la micro-ONG Humani Terra, chirurgiens du monde, basée à Marseille, pour suppléer à cette carence. Avec une équipe composée de deux anesthésistes, un Français et un Jordanien, et quelques infirmiers de blocs, il a enchaîné non-stop les interventions au sein d’un hôpital privé, à Cox’s Bazar, le chef-lieu du district de Kutupalong. « Nous avons travaillé avec les basiques indispensables que sont l’eau, l’électricité et l’espace pour organiser les interventions, les matériels et les médicaments. Des journées longues et fatigantes avec des centaines de consultations. Pour la suite, une make-shiftclinic va prendre le relais à l’intérieur du camp, sous l’égide d’Humani Terra, alors que les quatre antennes de MSF (France, Belgique, Hollande et Espagne) ne sont pas parvenues à s’accorder sur la mise en place d’un bloc et que le bloc du HCR ne fonctionne qu’à temps partiel. J’ai opéré beaucoup de victimes avec des séquelles de maltraitances, des fractures, des amputations et des traumatismes, mais j'ai aussi pratiqué de la chirurgie courante, péritonites, abcès et autres complications non diagnostiquées à temps. »
L’avenir de la population de Kutupalong est critique. « Les relations entre la Birmanie et le Bangladesh ne permettent pas d’être optimiste, estime le Dr Bérès. En sortant du bloc, dès qu’on lève la tête du guidon, on n’aperçoit aucune perspective rassurante dans ce qui menace de constituer un immense réservoir au djihadisme. »
Au-delà de la région, « c’est la planète humanitaire tout entière qui suscite l’inquiétude, poursuit le Dr Bérès, indigné par « le scandale absolu et monstrueux de l’Aquarius, alors que la France se défausse auprès de l’Union européenne pour une partition de quelque 50 naufragés. Le sordide le dispute à l’abject ! Et en France même, les efforts humanitaires se perdent dans des dérives financières indignes, comme avec les Enfants du canal, l’association d’aide aux sans-domicile que j’ai présidée et dont je viens de démissionner avec la moitié du CA ». Parole de chirurgien de guerre qui embarque dès demain pour l’Irak. Infatigable à 77 ans.
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