L’appendice, un réservoir de protéines pathologiques

Une appendicectomie précoce diminue le risque de développer la maladie de Parkinson

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Publié le 12/11/2018
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appendicectomie

appendicectomie
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

« Nos résultats désignent l’appendice comme un des sites d’origine pour la maladie de Parkinson, ouvrant une voie de développement de nouvelles stratégies thérapeutiques sur la base du rôle du tractus gastro-intestinal dans le développement de la maladie », précise le Dr Viviane Labrie (Laboratoire Labrie, Van Andel Research Institute, Grand Rapids, MI) qui a supervisé l’étude publiée dans la revue Science Translational Medicine. « Malgré sa réputation d’être en grande partie inutile, l’appendice joue en fait un rôle majeur pour aider le système immunitaire à détecter et éliminer les organismes pathogènes, pour réguler la composition de nos bactéries intestinales et, comme le montre notre travail, dans la maladie de Parkinson », ajoute-t-elle.

Dysfonction intestinale originelle

« Nos découvertes approfondissent la compréhension de cette maladie extrêmement complexe », note Bryan Killinger, un chercheur du laboratoire Labrie qui co-signe l’étude. « Nous avons montré que l'appendice représente un réservoir où s’accumulent les formes agrégées des protéines alpha-synucléines qui sont impliquées dans la maladie de Parkinson ». Cette connaissance sera précieuse pour explorer de nouvelles stratégies de prévention et de traitement 
Il est apparu ces 10 dernières années que la maladie de Parkinson est une maladie multisystémique, non limitée à des symptômes moteurs. De fait, une dysfonction intestinale avec constipation est assez fréquente et peut précéder, parfois de 20 ans, les symptômes moteurs. Récemment, les agrégats d’alpha-synucleine, qui sont particulièrement neurotoxiques pour les neurones dopaminergiques de la “substance noire” du cerveau et sont capables de se propager de neurone en neurone, ont été détectés dans les neurones entériques du tube digestif chez les patients atteints de MP, parfois plusieurs années avant les symptômes moteurs. Des études suggèrent en outre que les agrégats d’alpha-synucleine peuvent migrer via le nerf vagal du tube digestif au cerveau. La question se pose donc de savoir si le tube digestif pourrait être un point de départ pour la maladie de Parkinson.
L’équipe du Dr Labrie s’est intéressée à l’appendice iléocaecal, un tissu lymphoïde majeur du tube digestif. Les chercheurs ont analysé deux larges études épidémiologiques, indépendantes et complémentaires, afin de déterminer si l’ablation de l’appendice pouvait affecter le risque et le développement de la MP.

Effet protecteur de l'appendicectomie

Les données du Registre National Suédois des Patients (SNPR), portant sur près de 1,7 millions de personnes suivies jusqu’à 52 ans après l’appendicectomie (avec appariement à 2 témoins), montrent que l’appendicectomie abaisse de 20 % le risque de développer la MP, notamment en milieu rural avec une baisse de 25 % ; ceci suggère une interaction de l’appendice avec des facteurs environnementaux. Les données de l’Initiative des Marqueurs de Progression du Parkinson (PPMI), portant sur 849 patients MP dont 6,6 % ayant subi une appendicectomie, montrent que l’appendicectomie retarde de 3 ans et demi en moyenne la survenue de la MP, avec un effet protecteur observé après 3 décennies. Cette protection s’observe chez les patients qui ont une histoire familiale de MP, mais pas chez ceux qui ont une forme génétique de MP, ce qui suggère là encore que des facteurs environnementaux interagissent avec l’appendice pour moduler le risque de MP.

Ils ont examiné par ailleurs 48 échantillons d’appendicectomie. Leur grande surprise a été de constater que les agrégats d’alpha-synucléine, similaires à ceux trouvés dans le tissu cérébral des patients MP, sont omniprésents dans les appendices des personnes jeunes et vieilles (nourrisson jusqu’à 84 ans ; 46/48), sans MP, et aussi abondants dans les appendices normaux que dans ceux enflammés de façon aiguë ou chronique. Ces agrégats sont présents dans la muqueuse, les plexus et les fibres nerveuses de l’appendice. « Il semble que ces agrégats, bien que toxiques dans le cerveau, soient plutôt normaux dans l’appendice. Ceci suggère clairement que leur seule présence ne peut pas être la cause de la maladie », précise le Dr Labrie. La maladie de Parkinson est relativement rare - touchant moins de 1 % de la population - aussi doit-il y avoir un autre mécanisme ou une autre combinaison d'événements qui permet à l'appendice d’affecter le risque de la maladie de Parkinson.

Des agrégats comparables d’alpha-synucleine dans le prostaste et le cerveau

Nous projetons maintenant de rechercher quels facteurs pourraient faire basculer l’équilibre en faveur de la maladie de Parkinson. En étudiant de plus près ces agrégats, les chercheurs ont constaté des formes plus courtes d’alpha-synucleine chez les patients atteints de MP, une piste qui sera plus amplement explorée.
« Nous ne préconisons pas l’appendicectomie comme une mesure préventive contre la maladie de Parkinson », souligne le Dr Labrie. Pour les chercheurs, ces données suggèrent que des thérapies ciblant le clivage de l’alpha-synucléine dans l’intestin, avec par exemple des inhibiteurs de métalloprotéases (évalués dans le cancer), et des thérapies visant à ralentir ou prévenir la dissémination des agrégats à partir du tube digestif vers le cerveau pourraient offrir une stratégie pour traiter ou même prévenir la MP. Une autre piste thérapeutique potentielle et complémentaire pourrait être la manipulation du microbiote. Ainsi, la maladie de Parkinson pourrait débuter dans un tissu différent selon les patients. « Pour certains patients, l’origine pourrait être dans l’intestin, pour d’autres dans le cerveau ou dans le bulbe olfactif », suggère le Dr Labrie.

B. Killinger et al., Science Translational medicine, DOI:10.1126/scitranslmed.aaar5280, 2018

 

Dr Veronique Nguyen

Source : Le Quotidien du médecin: 9701