Des sociétés savantes encore réservées

Une « curiethérapie » innovante par radioembolisation remboursée dans les cancers du foie inopérables

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Publié le 15/04/2019
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Crédit photo : SIRTEX

Il n'est pas habituel que le remboursement précède les recommandations des sociétés savantes. C'est pourtant ce qui vient de se produire pour la radiothérapie interne sélective (SIRT) par microsphères marquées à l'Yttrium-99 dans le cancer du foie inopérable.

Les deux produits sur le marché ont obtenu leur remboursement dans le carcinome hépatocellulaire (CHC) en 2019, en janvier pour Therasphere et en mars pour SIR-Sphere, ce dernier étant également pris en charge depuis 2017 dans les métastases hépatiques du cancer colorectal en échappement thérapeutique.

« Je suis très surpris mais content, commente pour le " Quotidien " le Pr Julien Edeline, oncologue au CHU de Rennes. C'est une opportunité pour des patients sélectionnés, car le traitement est bien toléré. Il faut néanmoins rester scientifique et continuer à évaluer la SIRT, car le niveau de preuve n'y est pas encore. Il y a moyen de faire mieux en calculant la bonne dose et en sélectionnant les patients ».

Une place entre la chimioembolisation et le sorafénib

Cette technique innovante consiste à introduire des sources radioactives au contact ou à l'intérieur même de la tumeur par radioembolisation de microsphères contenant de l'Yttrium-99, un radioisotope à forte énergie émettant des rayons bêta. « Les deux produits sont proches mais pas strictement identiques, les microsphères étant différentes entre Therasphere et SIR-Sphere », précise Julien Edeline.

L'indication de la radioembolisation pour les CHC est le traitement palliatif des tumeurs de stade BCLC B/C, sans occlusion complète du tronc porte, chez des patients ayant un état général conservé, une fonction hépatique préservée et non éligibles ou en échec au Nexavar (sorafénib).

Un niveau de preuve insuffisant

Dans la stratégie thérapeutique, la chimioembolisation artérielle (TACE) est le traitement palliatif de première ligne des CHC évolués en l'absence de métastase (stade BCLC B), et en l'absence d'anomalie significative du flux portal, asymptomatique et en bon état général. En cas d'atteinte extra-hépatique (stade BCLC C), un traitement par sorafénib est préconisé.

« Pour les stades intermédiaires, les résultats de la radioembolisation sont similaires au sorafénib mais mieux tolérés, commente Julien Edeline. Pour les stades avancés, les données rétrospectives des 2 produits convergent pour dire que ça marche bien, mais les trois essais de supériorité de phase 3 menés avec SIR-Spheres sont négatifs ». Pourquoi le remboursement a-t-il été accordé ? « L'évaluation des dispositifs médicaux ne se fait pas sur les mêmes critères que celle des médicaments, avance-t-il. Les essais sont négatifs sur la survie globale, mais la tolérance et la qualité de vie sont meilleures. Cela ne se serait pas passé ainsi pour un médicament ».

Un critère soumis à interprétation

Actuellement, les sociétés savantes restent réservées sur la radioembolisation. « Le calcul de la dose ne prend pas en compte la dose réelle délivrée à la tumeur, mais celle dans le foie total, explique l'oncologue. Le produit est injecté dans l'artère qui nourrit le foie et comme la tumeur est hypervascularisée, il va préférentiellement dans la tumeur plutôt que dans le foie sain. Des données laissent penser qu'en affinant la dose dans le foie tumoral, les bénéfices vont commencer à ressortir ».

De plus, les indications de la radioembolisation sont soumises à des subtilités d'interprétation du libellé. « Pour les stades intermédiaires, il s'agit de tumeurs qui ne peuvent être traitées par chimioembolisation, car elles sont trop grosses et/ou présentent une thrombose porte partielle, et qui ne sont pas métastatiques pour être traitées par sorafénib », détaille Julien Edeline.

Et pour les stades avancés, si la radioembolisation est une technique de recours au sorafénib, l'indication « non éligible au sorafénib » n'est pas définie par des critères validés. « C'est un moyen de pression des industriels pour pousser à prescrire, estime Julien Edeline. Pour l'instant, la radioembolisation ne remplace pas le médicament, - qui par ailleurs est globalement bien toléré -, c'est un recours après échec thérapeutique ». Cette technique, réalisée dans une vingtaine de centres en France, concerne environ 500 patients/an. 

 

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin: 9741