Tribune

Besoins des patients et devoirs des médecins : pour une conciliation au service de la qualité

Publié le 14/10/2019
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Il faut promouvoir « l’analyse de la valeur en santé » pour intégrer les attentes des patients dans la démarche qualité. Forts de leur expérience du concept, un anesthésiste de l’hopital Avicenne de Bobigny et un chirurgien des Hospices civils de Strasbourg exhortent leurs confrères à considérer le patient comme un acteur de sa santé en portant leur attention « beaucoup plus vers le malade que vers la maladie. »

« Considérer les attentes réelles des patients » est une nouvelle mutation de notre système de santé, inéducable et déjà en marche. Sortir d’un système par nature inflationniste valorisant uniquement la quantité d’actes médicaux, au profit d’une gratification de la qualité, de la pertinence, est un réel changement de paradigme, améliorant la qualité de notre système, tout en le rendant pérenne.

L'assurance qualité, méthodologie déployée de longue date dans l'industrie ou les services pour satisfaire un niveau de qualité désiré, peine à s’installer dans le monde de la santé. En serions-nous incapables ? Depuis une vingtaine d’années, la qualité en médecine est évaluée essentiellement par l’analyse de variations des pratiques ou par l’utilisation d’indicateurs de processus. Evoquer la pertinence des soins c’est aller au-delà de la qualité, indicateur important, mais qui est considérée de manière séparée et cloisonnée par chaque acteur avec une vision à court terme.

L’analyse de valeur en santé ("value-based health care”) propose de mettre en balance les résultats qui importent aux patients et les coûts nécessaires pour les atteindre. Cette démarche pose les fondements et les conditions de création d’un cercle vertueux d’amélioration des pratiques : évaluer et comparer, c’est à la fois mieux connaitre et comprendre ses pratiques, apprendre de l’autre, et continuellement se remettre en question pour évoluer et s’améliorer.

Le questionnaire de Strasbourg

A l’instar d’un référentiel d’évaluation international utilisé pour le cancer colorectal, l’IHU de Strasbourg a développé pour la première fois en France un questionnaire standardisé concernant la prise en charge du cancer du pancréas, l’un des cancers demeurant encore l’un des plus meurtriers en France. Ce travail a été présenté comme meilleure communication au dernier congrès de l’Association Française de Chirurgie (https://doi.org/10.1016/j.jchirv.2019.03.008), démontrant qu’une telle démarche est réalisable et a vocation à être étendue à d’autres pathologies. Toutes les données deviennent alors une source d’informations gérées en temps réel par le praticien afin d’adapter et personnaliser la prise en charge. Ces données standardisées partagées en toute transparence entre équipes seront aussi un outil robuste pour s’évaluer et s’améliorer.

Modifier notre vision du « Patient » vers un « Acteur » de sa santé amène à avoir une attention beaucoup plus vers le malade que vers la maladie. Il s’agit bien là d’effacer l’actuelle relation asymétrique et hiérarchique à la faveur d’une relation d’égal à égal. « Mettre le patient au centre » ne peut être une expression galvaudée sans véritable changement de perspective ou d’action. Une population toute particulièrement sensible à cette « Prise de décision partagée », est certainement les patients plus âgés qui ont souvent des priorités différentes que les plus jeunes. Plus que la longévité, dans de nombreux cas, ils valorisent leur capacité à vivre indépendamment et de partager des moments de qualité avec leurs proches.

Définir les outils pertinents

Des réticences liées à la crainte d’une « suradministration » du système peuvent apparaitre pour ces approches nouvelles qui remodèleront nos habitudes et nos futures pratiques. Elles ne pourront émerger qu’avec des outils pertinents pour nous professionnels de santé et adaptés pour le recueil, le suivi et la transmission des informations. Elles impliquent également de nouvelles coordinations impactant l'organisation et la rémunération des acteurs. Mais c'est une des solutions qui au final garantira intérêt des patients et intérêt collectif, souplesse et efficience de notre système de santé, afin d’assurer aux futures générations sa pérennité.

L’attention à une telle démarche souligne l’importance de se questionner sur le sens de la relation médecin-malade, alliant les éléments objectifs de la médecine factuelle, basée sur les preuves, tout en prenant en compte les préférences du patient. Le médecin a intérêt à s’engager dans un tel cercle vertueux, car la non-qualité coûte cher, tout en induisant des risques directs et réels d’évènements indésirables. Dans la relation de confiance entre le médecin et son patient, mais aussi entre le médecin et les pouvoirs publics, il est de l’intérêt du médecin de se saisir de cette nouvelle responsabilité. En sortant de la tyrannie du tout-quantitatif, financer une part du parcours de soin selon la qualité ne peut qu’être bénéfique pour tous, les “bons soins” étant de plus générateurs d’économies. Pour une spécialité de haute technologie comme la chirurgie, cette nouvelle attention à la qualité et à la pertinence des soins devient essentielle pour prendre en charge de manière appropriée, pertinente, chaque patient pris comme une personne individuelle, spécifique, et somme toute unique.

Patrick Pessaux, Professeur des Universités, Praticien Hospitalier en Chirurgie Viscérale et Digestive, Université de Strasbourg, Nouvel Hôpital Civil, IHU de Strasbourg, Président de l’Association Française de Chirurgie Sadek Beloucif, Professeur des Universités, Praticien Hospitalier en Anesthésie-Réanimation, Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, Hôpital Avicenne de Bobigny

Source : Le Quotidien du médecin