L'agenda de M. Castex est chargé. La circulation du virus va durer des mois et même des années et, dans cette ambiance de semi-confinement, le chef du gouvernement doit assurer une forte évolution dans le sens de la décentralisation, de la relance de la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron, de l'emploi (il faut mettre au travail les 700 000 jeunes gens qui arrivent en septembre sur le marché) et du contrôle d'une dette galopante. Quels que soient les vifs regrets exprimés par la population après le départ de M. Philippe, M. Castex n'est ni un novice, ni incompétent, ni faible. Il a le temps de se faire une notoriété. Il s'exprime abondamment dans les médias. Il sera un travailleur acharné. Maire d'une ville de 6 000 habitants, il aura une approche moins « verticale » des problèmes et peut nouer avec les syndicats des liens plus étroits que ceux de son prédécesseur.
On s'appesantira parfois sur les regrets soulevés par la démission de M. Philippe, tout en tenant compte du fait qu'elle a été voulue par les deux têtes de l'exécutif, de sorte qu'elle n'a rien de punitif. Mais il faut aller de l'avant, et vite. Dans la course contre le virus, chaque minute compte. Il faut confirmer les engagements européens pour la relance des économies de l'Union. Il faut créer les conditions d'une croisssance forte l'année prochaine. Les experts évaluent à 8 % la progression du PIB en 2021, plus 2 ou 3 % grâce aux différents plans nationaux et internationaux. Emmanuel Macron a des idées très fortes sur la chronologie des actes qu'il doit accomplir. Quand bien même son spectaculaire remaniement n'avait pour objectif que son confort personnel, il reste le président et l'un des leaders les plus constructifs en Europe.
Le danger d'une alliance Verts-gauche
Jean Castex, de surcroît, ne va pas travailler dans une atmosphère apaisée. La victoire des écologistes aux municipales, leur symbiose avec la gauche et parfois l'extrême gauche, la résistance de la droite dans les villes inciteront les oppositions à multiplier les agressions contre le pouvoir qui n'a réussi qu'à changer l'homme-clé de sa politique pour éviter l'impression de fin de règne, espoir qui risque de ne pas être exaucé. Rarement des élections municipales ont eu une influence aussi lourde sur la marche de la politique. La convergence Verts-Rouges (ou Roses) commence à écarter la fatalité d'un second tour réservé à M. Macron et à Mme Le Pen. C'est pourquoi le départ d'Édouard Philippe pourrait bien être calamiteux : sa popularité protégeait Macron contre la montée en puissance des Verts et contre le danger d'une alliance sacrée, plus à gauche qu'écologiste, qui écarterait le président dès le premier tour.
À mon avis, le chef de l'État a commis, de ce point de vue, celui de 2022, une erreur stratégique. Mais les dés sont jetés : M. Castex est, qu'on le veuille ou non, l'homme chargé de juguler la crise et donc, de créer des emplois et de donner un coup d'arrêt à l'endettement, deux domaines considérés comme prioritaires par les Français, bien avant la lutte contre le réchauffement climatique. Écolos, nous le sommes tous à des degrés divers, et le ralliement tardif de M. Macron à cette grande cause ne suffira pas à faire de lui le primus inter pares de l'environnement. Il demeure que, comme l'a dit M. Castex dès vendredi, l'écologie n'est pas une option, ce qui veut dire qu'elle s'impose à tout programme de gouvernement.
La nostalgie méritée qu'inspire Édouard Philippe finira par s'estomper. M. Castex étant un excellent homme qui, par ailleurs, n'a jamais eu de plan de carrière, il est probable qu'il accomplira des actes décisifs, peut-être historiques. On ne peut pas dire qu'il fera mieux ou moins bien que M. Philippe : on n'en sait rien. Si déjà il pouvait apaiser ce peuple constamment indigné, colérique, révolté et pour tout dire souvent violent, on l'en remercierait.