Comparaison n'étant pas raison, il n'y a aucune raison d'élever le peuple algérien, qui a certes ses préoccupations, au statut du peuple juif, qui, lui, a failli être exterminé dans des conditions particulièrement atroces. Sur cette terre, où vivaient un million de pieds-noirs plus attachés à leur patrie que les Français de l'hexagone, le pouvoir, à Paris, n'a jamais tenté d'éliminer la totalité des musulmans. En outre, les coups ont été portés par les deux camps et donc, s'il faut condamner les crimes commis au nom de l'Algérie française, il faut aussi le faire pour les actes sanglants de l'insurrection algérienne.
Il est logique que, en 1995, à peine élu président de la République, Jacques Chirac ait donné aux Français juifs le gage qu'ils attendaient de ses prédéceseurs et qu'ils n'avaient pas reçu jusqu'alors. L'État pétainiste et son principal suppôt, Pierre Laval, ont pleinement participé à la déportation des Français juifs, trahissant ainsi un serment jamais prononcé, celui de la protection par la communauté nationale de nos concitoyens juifs. Il n'en va pas de même pour l'Algérie, colonisée par la France dans des conditions très regrettables ; son peuple a décidé de s'arracher à l'emprise française, avec les conséquences que l'on sait mais qui étaient inévitables, jusqu'à la négociation. Quand la France a signé avec les accords d'Évian avec les insurgés, elle était assez lasse de la guerre pour vouloir se débarrasser du fardeau algérien. Auparavant, elle a utilisé tous les moyens de la répression, dont la torture, ce qui, assurément, a entraîné une sorte de culpabilité nationale vécue très différemment selon que l'on croit à l'influence de notre pays à l'étranger ou qu'on ne l'estime pas indispensable, en tout cas pas sous cette forme et en y guerroyant.
Un cas unique
Emmanuel Macron, pour sa part, rejette toute forme de comparaison. Il a dit et répété que le cas de la Shoah est unique, que créer d'artificielles similitudes entre le peuple juif et le peuple algérien, c'est mettre dans le même sac deux expériences historiques d'intensité totalement différentes. Nous assistons tous les jours aux efforts d'un certain nombre de Français musulmans qui tentent de donner à leur communauté le statut moral des juifs de France. Il s'agit tout simplement de justifier les actes de terrorisme commis par des hommes et des femmes qui, justement, veulent soumettre et non pas libérer leurs semblables. Il n'y a pas de Français juif qui, se sentant menacé en France, pose des bombes ou tire dans la foule. Non seulement la comparaison n'a aucune valeur sur les plans éthique, politique, moral ou historique, mais elle conduit à l'un de ces amalgames qui sont devenus la panacée du populisme.
Il ne semble pas que le président Macron, pour faire un effet au moins égal à celui de Chirac, prendra le risque de s'aventurer dans l'analyse offerte par des gens qui sont, soyons réalistes, les plus acharnés de ses opposants. Il a certes l'habitude de sortir de l'écheveau de ses problèmes en « inventant » une affaire nouvelle, suffisante pour changer de sujet. S'il est vrai que son « en même temps » ressemble désormais beaucoup à une politique de droite, il ne serait pas astucieux de déclencher un nouvel incendie dans l'opinion de droite. Le mieux est de confier la guerre d'Algérie aux historiens et d'admettre officiellement qu'une guerre coloniale n'est pas recommandable, qu'elle est inévitablement accompagnée par une sinistre série d'exactions et de crimes, qu'elle porte un coup sévère à la croissance (sur tous les plans) du pays colonisé et au-delà de la colonisation elle-même, et que, comparé à ces désastres, ce qu'un pays apporte à celui qu'il colonise ne fait pas le poids.