Des romans sur la trace sanglante des faits-divers

Détournement de fait social

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Publié le 04/06/2021
Viol, pédopornographie, mort en direct, magouilles et assassinats politiques, enfants de djihadistes, tensions communautaires... : quand des faits-divers se transforment en faits de société.

* Patrick Raynal, éditeur dont le nom est lié à la Série Noire, scénariste, traducteur et auteur d’une bonne trentaine d’ouvrages, fait du neuf avec du vieux avec brio : avec « l’Âge de la guerre », il remet en scène, trente ans après « Fenêtre sur femmes », l’assureur marron Philippe Clerc, désormais septuagénaire, et dans un lit aux côtés d’une beauté décédée dont il n’a aucun souvenir. Tout cela pour nous propulser à nouveau à Nice à la veille des élections, quand tous les coups sont permis entre pègre locale et prétendants à la mairie. C’est drôle, âpre et… réaliste (Albin Michel, 265 p., 18,90 €).

* Dans « la Fiancée gitane », le très apprécié premier roman de Carmen Molan, on découvrait l’inspectrice Elena Blanco, aussi efficace que torturée, depuis le kidnapping de son fils Lucas huit ans auparavant. Dans « le Réseau pourpre », elle est chargée de démanteler la juteuse filière des snuff movies diffusés sur le Dark Web. Même si la suggestion remplace rapidement la description des scènes de supplices, la tension ne faiblit pas dans ce récit de mort en direct, qui explore le Madrid des beaux quartiers et des banlieues. D’autant que Lucas pourrait, de victime, être devenu bourreau (Actes Sud, 376 p., 23 €).

* La verve de Dominique Sylvain ne faiblit pas. Après une vingtaine de romans noirs souvent récompensés, il donne avec « Mousson froide » un texte tendu, axé sur le démantèlement d’un réseau de pédopornographie. À Montréal, un policier d’origine coréenne et sa collègue maître-chien sont confrontés à un tueur, venu de Séoul pour accomplir une vengeance remâchée pendant vingt-cinq années d’emprisonnement. L’efficacité de ce roman choral est de nous immerger dans les pensées tourmentées du policier et de sa compagne, comme dans la tête du labrador qui flaire les mémoires électroniques et dans celle du meurtrier, qui dévoile ainsi ses plans. À tel point qu’on ne sait plus qui est la proie et qui le chasseur (Robert Laffont, 374 p., 21 €).

* Christian Blanchard, qui a notamment signé « Iboga » ou « Angkar », n’est pas un auteur de tout repos. On le constate encore avec « Tu ne seras plus mon frère », qui débute quand éclatent le printemps arabe et la révolution syrienne en 2011 et qui trouve un épilogue en 2020 en France lorsque des « lionceaux du califat », des enfants de djihadistes français, sont abattus à leur arrivée sur le territoire. La réflexion aux multiples résonances repose sur l’histoire de deux frères franco-syriens, l’un qui soutient le régime du président Bachar el-Assad et l’autre qui s’engage aux côtés des rebelles (Belfond, 347 p., 19 €).

* La Russie et l'incorruptible inspecteur Arkady Renko, découvert en 1981 dans le best-seller « Parc Gorki », sont pour la neuvième fois les thèmes d’inspiration et d’exploration de l’Américain Martin Cruz Smith. Dans « Dilemme en Sibérie », il se lance sur les traces de son amie et journaliste Tatiana Petrovna, qui a disparu alors qu’elle enquêtait sur deux oligarques menaçant l’avenir politique de Vladimir Poutine. Frissons de froid et de peur garantis, entre ours sauvages et richissimes hommes d’affaires (Calmann-Lévy, 244 p., 20,90 €).

* « Les Divinités » est le premier titre d’une nouvelle série de Parker Bilal (le pseudonyme de l’écrivain anglo-soudanais Jamal Mahjoub), située en Europe, car il a abandonné Le Caire et le privé de la série « Makana » pour les rives de la Tamise. Les corps emmêlés de l’épouse d’un promoteur immobilier influent et d’un collectionneur d’art français d’origine japonaise sont découverts par un gardien kurde. L’enquête de ce qui semble un meurtre inspiré par la loi islamique est confiée à Khal Drake, un musulman en délicatesse avec sa hiérarchie, flanqué d’une psychologue anglo-iranienne juive. Une série noire classique au cordeau, sur fond de tensions communautaires (Gallimard, 458 p., 22 €).

* Après nous avoir abreuvés des aventures du commissaire Erlendur, l’Islandais Arnaldur Indridason met à nouveau en scène (après « Ce que savait la nuit » et « les Fantômes de Reykjavík »), le policier retraité et veuf Konrad. Dans « la Pierre du remords », il s’efforce d’accomplir le vœu d’une femme qui vient d’être assassinée et qui lui demandait de retrouver l’enfant qu’elle avait abandonné à sa naissance près de cinquante ans auparavant. Un roman aussi mélancolique qu’impitoyable, où les regrets et les remords se conjuguent avec viol, avortement et sectes religieuses (Métailié, 345 p., 21,50 €).

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin