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Dossier

Loi santé, transparence, sécurité...

Dr Patrick Bouet : « Aujourd'hui, l'Ordre agit »

Par Christophe Gattuso - Publié le 05/09/2019
Dr Patrick Bouet : « Aujourd'hui, l'Ordre agit »

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Garo/phanie

Dans un entretien sans langue de bois, le Dr Patrick Bouet, tout juste réélu à la tête du Conseil national de l’Ordre des médecins, confie au Généraliste ses ambitions pour faire avancer la profession. Vigilant sur l’application de la loi santé, il prône une formation plus professionnalisante des futurs médecins pour faciliter leur installation. Il répond aux attaques de la Cour des comptes et se défend de tout laxisme disciplinaire. Enfin, il somme le gouvernement d’agir pour garantir la transparence des liens d’intérêts et assurer la sécurité de tous les médecins.

Vous avez été réélu président de l’Ordre pour un 3e mandat de trois ans. Quelle sera votre priorité ?

Dr Patrick Bouet : Je souhaite achever la modernisation de l’Ordre entamée lorsque j’ai été élu. Je veux aussi que notre institution puisse accompagner individuellement les médecins tout au long de leur carrière, depuis leurs études jusqu’à leur départ en retraite, voire en soutenant leur famille après leur disparition.

Les urgences sont en crise. Cet été, plus de 200 services étaient en grève et certains ont accusé les médecins libéraux d’être à l’origine de cette situation. Que leur répondez-vous ?

Dr P. B. : Il n’y a pas un responsable mais des responsabilités partagées. Si les urgences sont en crise, ce n’est pas parce que les médecins généralistes ne seraient pas présents. Aujourd’hui, des professionnels de santé travaillent chacun dans leur coin à la prise en charge des soins non programmés. Nous devons renforcer la coopération de tous les acteurs. Arrêtons ces combats entre les blancs (Samu) et les rouges (pompiers), les libéraux et les hospitaliers, les urgences et les autres spécialités. Ces oppositions sont stériles. Il nous faut revoir le parcours du patient, cela demande une grande ambition. 

La loi de santé adoptée cet été mise sur les nouvelles organisations dans les territoires (1000 CPTS d’ici à 2022) pour améliorer l’accès aux soins. Croyez-vous vraiment en cette formule ?

Dr P. B. : La vision portée par ce texte est bonne. Ce qui nous inquiète, c’est la dérive technocratique de ces structures. Créer des CPTS, des liens ville-hôpital, des partages de compétences, peut être une bonne chose. Mais ces initiatives ne doivent pas être dévoyées par les textes réglementaires. Elles doivent répondre à l’organisation de plans locaux de santé ambitieux. Nous y serons vigilants.
 

L'objectif est que les futurs médecins entrent de plain-pied dans le système de santé sans hésitation. 

La suppression du numerus clausus permettra-t-elle réellement de former rapidement 20 % de médecins en plus, comme l’a prédit Agnès Buzyn ?

Dr P. B. : Nous avons toujours dit que le numerus clausus n’était pas une bonne chose et que la sélection sur des curseurs scientifiques nous semblait éliminer de potentiels excellents médecins. Le problème n’est pas d’annoncer des chiffres, mais d’agir pour garantir qu’un plus grand nombre de jeunes accèdent à des études de santé de qualité et professionnalisantes, avec davantage de stages hors de l’hôpital. L’objectif est que les futurs médecins entrent de plain-pied dans le système de santé sans hésitation. 

Le gouvernement prévoit un stage obligatoire dans un désert pour tous les internes en dernière année de médecine générale à partir de 2021. Cela va-t-il dans le sens de la professionnalisation que vous réclamez ?

Dr P. B. : Ce n’est pas ce que nous avions demandé. La loi a cherché à trouver un compromis entre l’obligation à l’installation et l’obligation à un stage en territoire sous-dense. L’Ordre souhaitait que l’année de phase d’autonomie permette à l’interne de sortir de l’hôpital. Si cette nouvelle mesure vise simplement à compenser un vide démographique, elle est sans intérêt. Si elle s’inscrit dans un projet de professionnalisation au sein d’un territoire, elle peut en avoir un.

Les généralistes enseignants souhaitent que les internes en médecine générale soient autorisés à remplacer en 3e année uniquement s’ils ont réalisé leur SASPAS. Y êtes-vous favorable ? Cela doit-il s’inscrire avec le passage du DES en 4 ans ?

Dr P. B. : Avec les collèges nationaux professionnels (CMG, CNGE) et les internes, nous cherchons à trouver un consensus pour savoir à quel moment la licence de remplacement pourrait se mettre en place dans le cadre de l’évolution des études médicales. Cette réforme ne doit pas viser à garder plus longtemps les internes dans le circuit hospitalier. Nous n’y sommes pas favorables tant que la 4e année de DES de médecine générale qui vise à mettre l’étudiant en autonomie n’existe pas. Nous pensons que le remplacement est un outil à la disposition des médecins pour mieux s’intégrer dans un tissu de santé.
 

Je regrette qu’il n’ait pas pu y avoir un débat serein sur l'homéopathie.

La ministre de la Santé a annoncé le déremboursement total de l’homéopathie en 2021. Allez-vous maintenir le titre de médecin homéopathe ?

Dr P. B. : Le Conseil de l’Ordre se réunira début octobre pour statuer sur le maintien ou la suppression du droit au titre. Il ne lui appartient pas de statuer sur le volet scientifique – la HAS l’a fait –, il ne lui appartient pas de statuer sur le remboursement – le ministère l’a fait –, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la qualité de la formation – c’est à l’université de le faire. Il nous revient de dire s’il faut reconnaître le titre d’homéopathe. Nous assumerons notre responsabilité.

Le déremboursement aura-t-il une incidence sur les procédures ordinales engagées pour anti-confraternité contre les auteurs de la tribune « antifakemed » ?

Dr P. B. : Les éventuelles sanctions seront appréciées par les instances disciplinaires qui sont indépendantes de l’Ordre des médecins. Elles sont appelées à se prononcer sur un problème de comportement entre professionnels, pas sur l’homéopathie en tant que telle.

Le débat a été très vif sur ce sujet pendant plus d’un an. Regrettez-vous la façon dont le corps médical s’est déchiré ?

Dr P. B. : Je regrette qu’il n’ait pas pu y avoir un débat serein sur cette question portant sur l’exercice professionnel et que l’on ait atteint un tel degré dans l’interpellation. L’intensité dans le temps m’a surpris. La passion de certains a complètement emporté le débat. Il y avait d’autres manières, probablement, de mener la réflexion.

Envisagez-vous de revenir sur l’interdiction de la publicité pour les médecins, comme le suggérait l’Autorité de la concurrence pour se mettre en conformité avec le droit européen ? 

Dr P. B. : La question a été portée à notre demande au Conseil d’État qui a réalisé une étude sur laquelle nous travaillons. L’Ordre n’a jamais demandé la suppression de l’interdiction de publicité ! Le problème n’est pas d’autoriser la publicité promotionnelle mais de définir quelles sont les informations pertinentes qui peuvent être données à la population pour mieux construire son parcours de soins. Il ne s’agit donc pas d’autoriser à afficher une pancarte de 5 mètres sur 4 dans le métro qui dit « le Dr Untel est le meilleur généraliste de Seine-Saint-Denis ». Par contre, que l’usager sache que le Dr Untel a un DU de gériatrie est une information qui pourrait être portée sur un site Internet, un réseau social afin d’améliorer l’information de l’usager. La question pour nous est plutôt là.

La transparence des liens d’intérêts est un de vos chevaux de bataille. Aujourd’hui, un médecin doit déclarer un repas payé par un laboratoire mais pas forcément une convention dont les montants sont bien supérieurs. La réglementation française va-t-elle assez loin ?

Dr P. B. : Non, elle ne va pas assez loin puisque nous attendons toujours la parution des décrets qui nous avait été annoncée en fin d’année dernière. J’ai écrit un nombre incalculable de courriers, participé à une énième réunion avec la DGOS sur le sujet. Le ministère ne cesse de reporter l’échéance. Nous demandons depuis des années la transparence la plus totale. Le politique doit prendre ses responsabilités. Si cela ne bouge pas, nous demanderons à nouveau au Conseil d’État de mettre en demeure le gouvernement.
 

Nous avons mis en disciplinaire et condamné beaucoup plus de professionnels que dans la décennie précédente.

Un rapport de la Cour des comptes divulgué il y a quelques mois dans le Canard enchaîné estimait « insincère » la comptabilité de l’Ordre, décrivait les « indemnités fastueuses » de certains membres, et évoquait la disparition de 300 000 euros de matériel informatique. Avez-vous pris des mesures ?

Dr P. B. : Ce n’était pas un rapport mais une pré-analyse de l’activité de l’Ordre des médecins précédant un rapport de la Cour des comptes. Le Canard a bénéficié d’informations erronées de quelqu’un de la Cour et en a fait un article. Les fuites ne sont pas des vérités. La Cour parle de « comptes insincères » car le Conseil national de l’Ordre des médecins n’encaisse pas lui-même les cotisations des médecins mais via les conseils départementaux. C’est un problème de sémantique. Je n’ai pas la prétention de présider une institution dont le fonctionnement n’est pas perfectible. Je peux cependant assurer qu’aucun matériel informatique n’a disparu dans cette maison, que les indemnités ont été votées par les conseils national et départementaux – cela nous place en matière d’indemnisation au niveau des URPS. Nous avons employé tout ce temps à rétablir la vérité auprès de la Cour des comptes. Cette dernière va être destinataire en septembre de nos éléments contradictoires. Elle statuera ensuite sur un rapport éventuel. Je n’ai aucune crainte qu’il soit rendu public. 

Le Cnom était aussi accusé de « laxisme disciplinaire » par la Cour des comptes...

Dr P. B. : La Cour des comptes a analysé la période 2011-2017 au travers de quelques affaires très médiatiques. C’est facile d’en tirer une conclusion générale quand on ne regarde pas tout ce qui se passe. Aujourd’hui, ce n’est plus comme il y a des décennies, l’Ordre agit. Depuis que je suis élu, nous avons tout fait pour que l’écoute, la prise en charge et la sanction soient mises en œuvre de façon systématique. Vous connaissez la nature de mon combat lorsque j’ai présidé le premier comité départemental d’aide aux femmes victimes de violences en Seine-Saint-Denis. Nous avons mis en disciplinaire et condamné beaucoup plus de professionnels ces dernières années (1 151 affaires ont été jugées par les chambres disciplinaires de première instance en 2014 contre plus de 1 300 chaque année suivante, NDLR). Sans doute car nous agissons de façon plus pertinente, mais aussi parce que les usagers hésitent moins à nous contacter.

Il y a quelques jours, un chirurgien de Jonzac a été accusé de 200 actes présumés de pédophilie alors que ce praticien avait déjà été condamné en 2005 pour pédopornographie. Pourquoi l’Ordre n’a-t-il pas interdit d’exercice ce médecin ?

Dr P. B. : Attention à ne pas réécrire l’histoire. En 2004-2005, l’Ordre a fait ce qu’il avait à faire. Le conseil départemental du Finistère a été informé de la condamnation pour détention d’une image pédopornographique après avoir demandé à 4 ou 5 reprises la communication du jugement au procureur de Vannes. L’Ordre a reçu le chirurgien et a entendu ses explications. Comme il s’agit d’un médecin chargé d’une mission de service public, le conseil départemental a informé la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) de la situation car c’est elle qui avait la compétence disciplinaire en 2005. L’Ordre des médecins n’a acquis cette compétence qu’en 2009. Aujourd’hui, les choses seraient différentes et l’Ordre pourrait directement porter plainte contre ce médecin en disciplinaire.

Du fait de ces nouveaux éléments, allez-vous porter plainte ? 

Dr P. B. : Dans la mesure où nous avons désormais des informations sur cette affaire, je vais bien sûr poser la question au Conseil national de l’Ordre. Comme toujours dans ces dramatiques affaires, et je pense surtout à toutes ces victimes potentielles, l’idée n’est pas que l’Ordre agisse seul mais que l’information soit échangée entre tous les acteurs : la justice, les médecins, les usagers et l’Ordre.

La réforme des retraites inquiète les médecins libéraux. Des syndicats appellent à manifester le 16 septembre. Soutenez-vous le mouvement ?

Dr P. B. : L’Ordre des médecins est membre du conseil d’administration de la Carmf et a demandé à son représentant de voter contre les propositions en s’associant aux inquiétudes des représentants professionnels. Notre rôle n’est pas de discuter la nature de cette réforme. C’est notre responsabilité d’alerter sur le caractère traumatisant et non consensuel de mesures annoncées par l’État. On ne peut pas balayer les acquis de chacun d’un revers de main, cela demande plus de discussions.

La sécurité des médecins, « pas une priorité du gouvernement »

Le nombre de déclarations d’agressions de médecins a franchi un triste record en 2018 avec plus de mille incidents. Pour autant, le sujet n’a jamais fait l’objet d’annonces des pouvoirs publics, ces deux dernières années. Ce dont se désole le Dr Bouet : « Comment dire les choses aimablement… Alors que j'avais été reçu par tous leurs prédécesseurs au ministère de l'Intérieur, je n’ai jamais rencontré M. Collomb ni M. Castaner. » Les protocoles de sécurité ont certes été relancés dans les départements, avec une circulaire commune envoyée aux préfets. « La sécurité des médecins, enjeu crucial, ne semble pas être une priorité du gouvernement. Elle doit pourtant être assurée, dans les services des urgences d’un hôpital mais aussi dans les cabinets libéraux », conclut le Dr Bouet.


Propos recueillis par Camille Roux et Christophe Gattuso

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