LE QUOTIDIEN : L'hôpital a encore des pratiques polluantes. Comment passer au vert ?
Dr LAMIA KERDJANA : Les postes du bloc opératoire sont les plus polluants de l'hôpital. Ils concentrent environ 40 % de la part des déchets hospitaliers tels que les métaux, les déchets à risques infectieux [DASRI, NDLR], le plastique, les papiers, les déchets aériens comme les gaz anesthésiques…
Pour passer au vert, il faut travailler sur le choix des matériaux et des produits. Par exemple, pour intuber un patient, on utilise une lame laryngoscopique. En 2009, nous utilisions des lames métalliques à usages multiples, puis nous sommes passés aux lames jetables, puis repassés aux lames métalliques mais à usage unique. Ces dernières ont des dates de péremption et sont jetées, une fois la date dépassée. Pourtant ça ne périme pas. Ce ne sont pas des médicaments ! Il n'y a pas d'altération du métal avant des années ! Je pense qu'il faut retourner à l'usage multiple si c'est sans danger pour les malades.
Autre point : les choix thérapeutiques. Lors de la crise sanitaires, des anesthésistes ont changé leur pratique pour prévenir la pénurie de médicaments. Ils ont effectué des anesthésies loco-régionales au lieu de générales lorsque les opérations y étaient éligibles. Une façon d'utiliser moins d'agents anesthésiques qui sont des gaz à effet de serre.
Autre sujet de préoccupation, le matériel de protection. Les personnels soignants se sont retrouvés avec des sacs-poubelles en guise de surblouse lors de la première vague car il n'y avait pas de tabliers en tissu disponibles. Pourtant, cela existait encore en 2004. Il faut avoir de nouveau du matériel en tissu et reformer des personnes en blanchisserie ou dans les services de stérilisation dont les effectifs ont été réduits pour raisons budgétaires.
Vous avez participé à un projet de recyclage des déchets. En quoi consiste-t-il ?
J'ai soutenu le projet d'un confrère médecin-réanimateur et d'une infirmière-anesthésiste fin 2018, début 2019, quand j'étais à l'AP-HP. Ils ont porté un projet de gestion de tri sélectif des déchets aux blocs opératoires dans le but de les valoriser. Il arrive encore que tous les déchets partent dans la même poubelle alors que les matières nobles comme les métaux, les cartons et les verres pourraient être recyclées et potentiellement être une source d'économies puis de réinvestissement.
Si l'idée est bonne, dans les faits sur le terrain, la mise en place du triage a été très compliquée. Il a fallu des semaines pour obtenir des conteneurs. Une fois disposées dans les blocs et le personnel formé, les poubelles se sont vite remplies. Au bout de trois mois, elles étaient saturées. L'AP-HP est chargée de la partie administrative, autrement dit de faire venir les entreprises pour débarrasser ces déchets. Ça a été un casse-tête. C'est seulement lorsque l'équipe médicale a menacé de déverser les déchets dans l'hôpital que les conteneurs ont été enlevés. En revanche, je ne sais pas s'ils sont partis au recyclage ou dans une poubelle commune.
Ce qui est dommage, c'est que personne ne se saisit du sujet. Nous, on arrive, on est actifs et de bonne volonté mais on ne nous donne pas les moyens. J'ai essayé d'en parler à la commission médicale d'établissement puis au responsable du développement durable de l'AP-HP et je n'ai jamais eu de retours.
Les jeunes médecins sont-ils plus engagés que leurs aînés ? Comment s'approprier cette culture ?
Il y a un effet sociétal et une préoccupation de la jeune génération qui a la volonté d'être mieux formée. On se retrouve parfois face à des patients qui ont des questions sur ces thématiques et on a zéro formation ! On ne nous enseigne pas la santé environnementale à la fac, ni en formation continue. On aborde la pilule contraceptive mais les cours sont mal faits et on en oublie ses fonctions de perturbateur endocrinien. Il faut donc booster la formation et aborder le sujet des perturbateurs endocriniens, mais aussi du rejet des détergents à l'hôpital et de ses effets dans la nature sur la résistance aux antibiotiques.