N'importe qui voit ce qui ne va pas : le choix de l'EPR a provoqué un syndrome national. Le public constate que la construction des centrales issues de cette filière se heurte à d'immenses complications qui ont retardé la mise en fonction de Flamanville de plusieurs années, coûtent affreusement cher au contribuable et menacent EDF de banqueroute. Un seul EPR fonctionne parfaitement : celui qui a été vendu à la Chine. Deux réacteurs sont en cours de construction en Grande-Bretagne et risquent de coûter bien plus cher que le prix de vente. L'EPR finlandais fonctionnne après un retard de plusieurs années.
Il faut pourtant écouter les experts. Ils sont certes médusés par le poids de la facture, mais ils expliquent qu'on ne lance pas un nouveau système sans essuyer les plâtres de l'innovation. L'EPR consomme moins de combustible, produit 20 % de plus d'électricité qu'un réacteur traditionnel, fabrique moins de déchets et le courant d'origine nucléaire ne produit pas de dioxide carbone. Hâtons-nous d'ajouter que l'enfouissement des déchets nucléaires crée un malaise national qui se transformera bientôt en émeutes, que la durée de vie de ces déchets est très longue, que les garder au cœur de notre sol national constitue un danger pour les générations à venir. Cependant, on ne passera pas au tout électrique sans énergie d'origine nucléaire et, avec un minimum d'optimisme, on imagine que nos ingénieurs finiront par trouver un jour le moyen de s'en débarrasser sans atteinte à l'environnement.
Six nouveaux EPR
Toute la question porte sur le sens de la filière EPR : ou bien ce peut être un éléphant blanc, comme le fut le Concorde, ou bien c'est le choix salutaire au bout d'une longue série d'avanies. De toute façon, il y a une contradiction entre le développement exponentiel de ces nouvelles technologies dont personne ne peut plus se passer pour vivre et la condamnation de l'énergie nucléaire. Quand la chancelière allemande, Angela Merkel, sur un coup de tête, a décidé de se passer de ses centrales nucléaires, elle a bien dû recourir au charbon. Or toutes les études montrent que le solaire et l'éolien ne suffisent pas à remplacer le nucléaire, dont l'abandon prématuré a pour conséquence immédiate l'adoption d'énergies fossiles.
Si le gouvernement est alarmé, c'est parce que, au delà des arguments invoqués par les anti-nucléaire, il est possible de faire en sorte de perdre moins d'argent et d'accélérer les travaux. À Flamanville, on a recouvert des tuyauteries défectueuses avant de s'apercevoir qu'il fallait les changer, ce qui a obligé les constructeurs à détruire la maçonnerie qui les entourait. à Hickley Point (Angleterre), les constructeurs ont recontré des difficultés du même ordre. On est donc tenté de dire que, avec une plus grande vigilance, il était possible d'éviter ces très malencontreux accidents industriels.
Non sans sévérité, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a donc demandé à EDF de « se ressaisir ». Il établit la différence entre les aléas industriels et les manquements au professionnalisme. On veut bien qu'il ait été entendu, d'autant que la dette de l'électricien est énorme. Elle est même incalculable puisqu'EDF dit qu'elle s'élève à 37 milliards, mais ne compte pas les emprunts obligataires qu'elle a faits, ce qui fait au total plus de cent milliards. Comment, avec tel endettement, l'entreprise peut-elle encore emprunter, alors que la dette nationale s'élèvera bientôt à 100% du PIB, soit plus de 2 300 milliards ? C'est notre destin d'avoir des entreprises semi-publiques dont la dette est excessive, comme la SNCF (50 milliards).
En fait, le problème posé par le financement peut être résolu si enfin les travaux en cours se terminent, en France et en Grande-Bretagne. On a récemment annoncé qu'EDF envisageait de lancer six nouveaux EPR nationaux. Ce serait éminemment souhaitable si leur financement était assuré. Il ne peut l'être que par le succès et par l'arrivée, enfin, de recettes indispensables à l'investissement.