Position du bras et mesures de la pression artérielle. Un essai randomisé et cross-over
Arm Position and Blood Pressure Readings : the ARMS Crossover Randomized Clinical Trial
Liu H, Zhao D, Sabit A, & al. JAMA Intern Med 2024;184:1436-42.
https://doi.org/10.1001/jamainternmed.2024.5213
CONTEXTE
Avec 17 millions de patients en France (1), l’hypertension artérielle (HTA) associée ou non à d’autres comorbidités est (de très loin) la situation clinique la plus fréquemment rencontrée en médecine générale, soit 11,8 % des femmes et 9,4 % des hommes (2). À ce titre, les qualité, validité et crédibilité de la mesure de la pression artérielle (PA) sont fondamentales. La mesure de la PA en consultation ou visite à domicile est insuffisante pour faire le diagnostic d’HTA, qui doit être confirmé par une mesure à domicile (Mapa ou 3 automesures matin et soir pendant 3 jours consécutifs). Par ailleurs, l’utilisation d’un tensiomètre électronique est préférable pour éviter le « syndrome de l’arrondi » (par exemple 160/90 mmHg inscrit dans le dossier pour 156/86 mmHg réellement mesurés). Enfin, la position du patient pendant la mesure est une condition très importante : sujet assis avec un support dorsal, brassard adapté à la circonférence du bras posé sur le bureau ou une table et positionné au niveau du cœur, pieds à plat et jambes décroisées. Ces conditions relativement strictes sont le plus souvent inappliquées (3, 4). Les études ayant rigoureusement évalué les variations de la PA selon la position du bras et du brassard sont très rares et de qualité méthodologique globalement médiocre (absence de randomisation et/ou effectifs < 50 participants). Nonobstant, elles ont toutes suggéré que la PA était statistiquement surévaluée quand le bras n’avait pas de support et/ou le brassard était positionné en dessous du niveau du cœur (5-8).
OBJECTIFS
Évaluer les variations de pression artérielle (mesurées avec le même tensiomètre électronique validé) selon la position du patient, de son bras et du brassard.
MÉTHODE
Essai randomisé monocentrique en ouvert avec cross-over. Tous les participants ont eu 3 mesures de PA dans chacune des 3 positions suivantes aléatoirement fixées :
• position de référence : bras appuyé sur le bureau avec brassard au niveau du cœur (bureau 1),
• position assise avec bras et main reposant sur les genoux (genoux),
• position assise avec bras ballant sur le côté sans appui (bballant). Les autres positions du patient étaient conformes aux recommandations.
Pour tenir compte de la variabilité intrinsèque de la PA, tous les participants ont également eu trois autres mesures dans la position de référence recommandée (bureau 2).
Le critère de jugement principal était la différence de PA entre la moyenne des mesures bureaux 1 et 2 d’une part et celle des deux autres positions (genoux et bballant) d’autre part.
L’analyse en ITT était stratifiée sur la présence d’un traitement antihypertenseur (oui/non), l’âge, le sexe, l’IMC et au moins une consultation ou une visite à domicile dans l’année précédente. Avec une puissance de 80 % et un risque alpha bilatéral = 0,05, il fallait inclure au moins 100 participants pour montrer une différence de 8 à 10 mmHg sur la pression artérielle systolique (PAS) entre les moyennes de mesures de la position standard recommandée (bureaux 1 et 2) et celles des deux autres positions.
RÉSULTATS
Entre le 9 août 2022 et le 1er juin 2023 ,133 participants ont été recrutés et randomisés (procédure de randomisation RandBetween) en 6 groupes dans lesquels l’ordre des 4 mesures avec le même tensiomètre électronique (bureau 1, genoux, bballant, bureau 2) était prédéfini.
L’âge moyen des 133 participants était de 57 ans (± 7), 53 % d’entre eux étaient des femmes. 48 participant(e)s (36 %) avaient une PAS ≥ 130 mmHg et 55 (41 %) un IMC ≥ 30 kg/m2.
La PA moyenne des positions bureau 1 et bureau 2 était de 126/74 mmHg. Elle était de 130/78 mmHg dans la position genoux et de 133/78 mmHg dans la position bballant.
Pour être plus précis et comparativement à la position de référence (bureaux 1 et 2), la PAS moyenne du groupe genoux était + 3,9 mmHg et la diastolique (PAD) moyenne + 4,0 mmHg. Ces différences étaient toutes statistiquement significatives (p < 0,0001).
Comparativement au groupe bureaux 1 et 2, la PAS moyenne du groupe bballant était + 6,5 mmHg et la PAD moyenne + 4,4 mmHg (p < 0,0001).
Chez les patients hypertendus traités, la PAS moyenne mesurée dans la position bballant était + 9 mmHg vs la PAS moyenne en position standard (bureaux 1 et 2).
Les analyses de sensibilité faites pour explorer les limites de la procédure de randomisation ayant conduit à des inégalités d’effectifs entre les groupes ont montré des résultats similaires.
COMMENTAIRES
Dans cet essai randomisé avec répartition aléatoire des groupes et cross-over, tous les participants ont eu 3 mesures de PA dans les 3 positions évaluées.
Parmi toutes les études qui se sont penchées sur le délicat sujet de l’impact de la position du patient sur les valeurs mesurées de PA, l’essai Arms est (de loin) le plus méthodologiquement solide, même s’il était monocentrique.
Il montre clairement que le non-respect des recommandations surestime les valeurs de PA de 4 à 10 mmHg, ce qui peut amener à traiter des patients qui ne sont pas hypertendus ou à considérer que certains patients hypertendus ne sont pas contrôlés par leur traitement alors qu’ils le sont.
En pratique (cardiologique ou de médecine générale), la PA est le plus souvent mesurée à la fin de l’examen clinique, soit en position allongée, soit en position assise sur le lit d’examen avec la main sur les genoux ou le bras ballant. Comme les précédentes études (6, 8), l’essai Arms montre qu’il faut renoncer à cette habitude qui surestime les chiffres de PA et qu’il faut convier le patient à revenir au bureau et mesurer la PA à cette occasion, de préférence avec un tensiomètre électronique. En cas de chiffres ≥ 140/90 mmHg, il est fortement recommandé d’organiser une automesure à domicile (9-11) avant d’instaurer ou de modifier un traitement antihypertenseur.
Bibliographie
(1) Santé publique France. Hypertension artérielle en France : 17 millions d’hypertendus dont plus de 6 millions n’ont pas connaissance de leur maladie. https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2023/hypertension-arterielle-en-france-17-millions-d-hypertendus-dont-plus-de-6-millions-n-ont-pas-connaissance-de-leur-maladie.
(2) Duhot D, Martinez L, Ferru P, Kandel O, Gavid B. Prévalence de l’hypertension artérielle en médecine générale. Rev Prat Med Gen 2002; 16:177-80.
(3) Beevers G, Lip GY, O’Brien E. Blood pressure measurement: part I-sphygmomanometry: factors common to all techniques. BMJ 2001; 322:981-85. https://doi.org/10.1136/bmj.322.7292.981.
(4. Merendino J, Finnerty FA Jr. Importance of the position of the arm on the level of arterial blood pressure. JAMA 1961; 175:51-3. https://doi.org/10.1001/jama.1961.63040010010015c.
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(6) Familoni OB, Olunuga TO. Comparison of the effects of arm position and support on blood pressure in hypertensive and normotensive subjects. Cardiovasc J S Afr 2005; 16:85-8.
(7) Silverberg DS, Shemesh E, Iaina A. The unsupported arm: a cause of falsely raised blood pressure readings. BMJ 1977; 2:1331. https://doi.org/10.1136/bmj.2.6098.1331.
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(9) Stergiou GS, Paolo P, Gianfranco P et al. 2021 European Society of Hypertension practice guidelines for office and out-of-office blood pressure measurement. J Hypertens 2021; 39:1293-1302. https://doi.org/10.1097/HJH.0000000000002843
(10) Haute Autorité de santé. Prise en charge de l’hypertension artérielle de l’adulte 2016. https://www.has-sante.fr/jcms/c_2059286/fr/prise-en-charge-de-l-hypertension-arterielle-de-l-adulte
(11) Assurance-maladie. Comment prendre sa tension artérielle à domicile en 2023 ? https://www.ameli.fr/val-de-marne/assure/sante/bons-gestes/soins/prendre-tension-arterielle-domicile
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