Médecine interne

LA SARCOÏDOSE

Publié le 07/02/2022
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Le diagnostic de cette granulomatose inflammatoire n’est pas toujours évident, surtout en cas d’atteinte d’organe isolée ou atypique. Il repose sur un faisceau d’arguments cliniques et paracliniques. Cette difficulté entraîne bien souvent un retard de prise en charge.

Crédit photo : VOISIN/ PHANIE

INTRODUCTION

La sarcoïdose est une granulomatose inflammatoire pouvant atteindre tous les organes et ayant une prédilection pour l’appareil respiratoire. Son étiologie, probablement multi-factorielle, est encore inconnue. Elle se caractérise par la formation de granulomes immunitaires (amas de cellules inflammatoires) dans les organes atteints.

Le diagnostic de sarcoïdose repose sur un faisceau d’arguments cliniques, biologiques, radiologiques et histologiques associé à l’absence d’argument pour une autre granulomatose (notamment tuberculose). Il n’existe pas d’élément pathognomonique de la maladie.

Il s’agit d’une affection ubiquitaire dont l’incidence est estimée entre 5 et 20 cas/100 000 habitants/an selon l’ethnie, la zone géographique et le sexe (prédominance féminine avec un sex-ratio de 1,5). Elle peut survenir à tout âge, avec un pic de fréquence entre 25 et 45 ans (rare avant l’âge de 15 ans et après 60 ans) (1, 2).

Il existe fréquemment un retard à la prise en charge du fait de la difficulté à poser le diagnostic (signes cliniques et biologiques peu spécifiques, atteinte d’organe parfois isolée et atypique, nécessité de la réalisation de biopsie). Une étude a estimé que le diagnostic de sarcoïdose n’a été posé lors de la première visite chez le médecin que dans 15,3 % des cas. Cette même étude rapporte un délai de plus de 6 mois dans un peu moins d’un tiers des cas (3).

PRÉSENTATION CLINIQUE

➔ L’atteinte médiastino-pulmonaire Il s’agit de l’atteinte la plus classique de la sarcoïdose, concernant environ 90 % des cas. La principale plainte clinique est la toux, d’allure irritative et sans expectorations. La dyspnée est retrouvée dans les formes avancées (au cours du suivi dans les formes évolutives ou d’emblée en cas de diagnostic tardif d’une forme sévère). L’auscultation pulmonaire est peu contributive, le plus souvent normale.

La radiographie thoracique est très fréquemment anormale (90 % des cas) et permet de classer les atteintes en cinq stades (tableau 1). La stadification radiologique présente un intérêt thérapeutique et pronostique, les stades les plus avancés ayant le moins de chance de régresser spontanément.

L’atteinte parenchymateuse se caractérise par un aspect micronodulaire diffus dans les parties hautes des poumons (lobes moyen et supérieur). Il peut être frappant de constater la discordance radio-clinique, l’importance de l’atteinte radiologique pouvant contraster avec le faible retentissement clinique.

À un stade évolué, la fibrose, qui prédomine dans la partie postérieure, peut provoquer une ascension des hiles pulmonaires, des dilatations de bronches par traction, voire constituer des masses pulmonaires pouvant être sources d’erreurs diagnostiques (la lésion orientant alors plutôt vers une étiologie tumorale).

Le scanner est évidemment plus sensible que la radiographie pour déceler et caractériser les atteintes parenchymateuses. Toutefois, il ne modifie pas la classification radiologique et n’est indiqué qu’en cas de symptômes ou d’évolution atypiques, pour la recherche de diagnostic différentiel ou en cas de suspicion forte avec radiographie normale.

La réalisation d’épreuves fonctionnelles respiratoires (EFR) est systématique afin de rechercher un trouble ventilatoire restrictif ainsi qu’une diminution de la capacité de diffusion du monoxyde de carbone (DLCO). La capacité vitale forcée (CVF) est un paramètre fiable pour le suivi de la fonction respiratoire. Les EFR sont généralement normales dans les stades peu avancés. On peut plus rarement retrouver en cas d’obstruction bronchique un syndrome obstructif ou mixte. Elles seront réalisées lors du bilan initial ainsi qu’au cours du suivi afin de déceler une éventuelle progression de la maladie.

La fibroscopie bronchique est un examen d’un grand intérêt en l’absence de lésion superficielle. Les biopsies bronchiques peuvent objectiver des lésions évocatrices et le lavage broncho-alvéolaire peut montrer une alvéolite lymphocytaire modérée. Enfin, la réalisation de biopsies transbronchiques (potentiellement guidée par écho-endoscopie) peut être très rentable. En outre, les prélèvements réalisés permettront la recherche de mycobactéries.

Les atteintes extra-thoraciques Bien que la majorité des sarcoïdoses intéressent l’étage thoracique, les manifestations extra-thoraciques doivent être systématiquement recherchées, qu’elles soient ou non associées à une atteinte médiastino-pulmonaire. Certaines localisations peuvent faire la gravité de la maladie et poser à elles seules l’indication d’introduction de traitement.

L’atteinte cutanée est la plus fréquente des atteintes extra-thoraciques, avec des lésions plus ou moins spécifiques. L’érythème noueux est habituel dans le syndrome de Löfgren (une des formes de la sarcoïdose – lire plus loin), mais n’est pas spécifique de la sarcoïdose et ne doit donc pas bénéficier de biopsie. Parmi les atteintes cutanées plus spécifiques, notons les sarcoïdes, le lupus pernio (infiltration violacée du nez) ou encore les nodules sous-cutanés (intérêt de l’examen des cicatrices). Une consultation en dermatologie permettra de confirmer l’aspect clinique des lésions et de réaliser une biopsie cutanée.

L’atteinte ophtalmologique fait également partie des localisations extra-thoraciques les plus fréquentes de la sarcoïdose. Elle peut se manifester par une uvéite, une névrite optique ou encore une atteinte des glandes lacrymales. Il conviendra d’adresser le patient à un ophtalmologue afin de bénéficier d’un examen spécialisé et d’une prise en charge adaptée, y compris en l’absence de symptômes, l’atteinte pouvant être asymptomatique.

➔ Notons l’atteinte ganglionnaire (superficielle ou profonde), fréquente, qui ne pose pas de problème de gravité clinique mais qui peut permettre de poser le diagnostic aisément via la biopsie ganglionnaire.

➔ Enfin, certaines atteintes, moins fréquentes, méritent d’être soulignées de par leur gravité potentielle et la sanction thérapeutique qui en découlent. À ce titre, l’atteinte cardiaque, bien que rare (moins de 5 %) doit être systématiquement recherchée. L’ECG et l’échocardiographie cardiaque transthoracique permettront d’objectiver un trouble de la conduction (bloc de branche, bloc auriculo-ventriculaire) ou des signes d’insuffisance cardiaque. En cas de doute, l’IRM cardiaque et la TEP cardiaque permettront de caractériser l’atteinte (4). La sarcoïdose peut également toucher le système nerveux, provoquant un large panel de symptômes selon la localisation des granulomes (épilepsie, syndrome méningé, atteinte nerveuse périphérique ou centrale, atteinte du système neuro-endocrine, etc.).

STRATÉGIE DIAGNOSTIQUE

Rappelons qu’il n’y a pas de marqueur spécifique de la sarcoïdose.

Les circonstances diagnostiques sont variables. La sarcoïdose peut être suspectée devant des symptômes respiratoires persistants tels qu’une toux d’allure irritative, sans expectorations, une dyspnée d’effort inhabituelle (plus rare). Elle peut être également diagnostiquée au terme d’explorations d’altération de l’état général (principalement marquée par la fatigue, qui peut être intense) ou découverte fortuitement suite à la réalisation d’une radiographie thoracique ou à l’occasion d’un bilan d’hypercalcémie. Il existe une entité particulière de la maladie, évoluant sur un mode aigu, appelé syndrome de Löfgren et regroupant la présence d’érythème noueux, d’arthralgies (voire d’arthrites) associés à des adénopathies hilaires et médiastinales bilatérales. Enfin, notons les circonstances diagnostiques en rapport avec les atteintes extra-thoraciques (adénopathie, lésions cutanées, atteinte ophtalmologique…).

Le bilan paraclinique permettra d’une part d’obtenir des arguments indirects en faveur de la sarcoïdose tout en excluant les diagnostics différentiels, notamment infectieux, et d’autre part de rechercher des complications de la maladie (tableau 2).



Parmi les anomalies biologiques possiblement observées, on retiendra la lymphopénie, une hyper­gammaglobulinémie polyclonale, l’élévation de la béta-2 microglobuline, l’hypercalciurie ainsi que l’hypercalcémie (notamment en cas d’exposition solaire ou de prise de vitamine D). L’enzyme de conversion de l’angiotensine peut être un marqueur de l’activité de la maladie et reste intéressant dans le suivi évolutif de la maladie. Il faudra veiller à l’absence de prise de traitement inhibiteur de l’enzyme de conversion en cas de dosage. La créatinine doit être dosée systématiquement afin de ne pas méconnaître une atteinte rénale.

L’argument paraclinique le plus important reste le résultat anatomopathologique de la biopsie d’une lésion. Classiquement, les biopsies doivent être réalisées du site le plus accessible (glande salivaire accessoire, adénopathie superficielle, lésion cutanée) au plus invasif (adénopathie profonde, lésion intra-parenchymateuse, etc.). L’analyse cytologique met en évidence un granulome épithélioïde et gigantocellulaire sans nécrose caséeuse (la présence de nécrose sans caséum n’exclut pas le diagnostic).

Au total, le diagnostic de sarcoïdose reposera sur l’ensemble du tableau clinique et paraclinique et sur l’exclusion des diagnostics différentiels, principalement les autres maladies granulomateuses telles que la tuberculose, les mycobactéries atypiques, l’histoplasmose ou encore le lymphome (liste non exhaustive).

PRISE EN CHARGE ET SURVEILLANCE

Lors du diagnostic de sarcoïdose, il est recommandé d’effectuer un certain nombre d’examens afin d’évaluer l’extension de la maladie, dépister d’éventuelles complications et permettre une comparaison pour le suivi évolutif de la maladie (tableau 2).

Il conviendra dans tous les cas de traiter les atteintes d’organes pouvant engager le pronostic vital ou fonctionnel ainsi que de prendre en considération l’altération de la qualité de vie du patient (tableau 3).

Le syndrome de Löfgren est de régression spontanée et nécessite un traitement symptomatique avec mise au repos et utilisation éventuelle d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) selon l’intensité des arthralgies.

Les sarcoïdoses thoraciques de stades 1 et 2 sans retentissement clinique ne nécessitent pas de traitement. L’évolution est le plus souvent favorable.

Chez les patients ayant une atteinte pulmonaire importante et dont on pense qu’ils présentent un risque plus élevé de mortalité future ou d’invalidité permanente, un traitement par glucocorticoïdes est indiqué afin d’améliorer et/ou de préserver la capacité vitale forcée et la qualité de vie. Dans tous les cas, l’indication de traitement sera le résultat de la balance bénéfices-risques entre la diminution du risque évolutif de la maladie (mortalité, handicap lié à l’altération de la fonction respiratoire ou diminution de la qualité de vie) et le risque lié aux effets indésirables et contraintes de la prise de glucocorticoïdes. Un traitement de seconde ligne par méthotrexate pourra être envisagé par le spécialiste (interniste, pneumologue ou spécialiste de l’organe atteint) en cas de mauvaise réponse aux corticoïdes ou d’intolérance à ces derniers (5).

Concernant les atteintes extra-thoraciques, retenons les atteintes pour lesquelles l’indication de traitement est formelle du fait de la gravité potentielle de la maladie. Il s’agit des formes neurologiques, cardiaques, rénales, rhinosinusienne et laryngée ou encore oculaire si le traitement local est inefficace.

Concernant les modalités de traitement, les glucocorticoïdes restent le traitement de première intention (tableaux 3 et 4). Il était classiquement recommandé de débuter le traitement à la posologie de 0,5 mg/kg/jour ou à une dose standard de 40 mg/j. Toutefois, une étude randomisée multicentrique a montré que la posologie quotidienne de 20 mg était tout aussi efficace que les doses supérieures (6). De la même manière, il n’a pas été montré que majorer la corticothérapie à plus de 30 mg par jour était bénéfique dans la sarcoïdose cardiaque (7).

Ainsi, les dernières recommandations font état d’une posologie initiale de 20 mg (les cas spécifiques, tels que lorsqu’il y a une atteinte cardiaque, peuvent bénéficier de doses plus élevées et sont discutées collégialement). La décroissance des corticoïdes pourra être envisagée lorsqu’il n’y a plus de signe d’activité de la maladie.

Précisons que l’atteinte cardiaque peut être une indication à la pose de défibrillateur, notamment en cas d’altération de la FEVG (inférieure à 30 %) malgré un traitement bien conduit ou de trouble de conduction.

Le traitement de la sarcoïdose cutanée est généralement limité aux lésions importantes sur le plan esthétique. Pour les patients atteints de sarcoïdose cutanée et présentant des lésions cutanées actives importantes sur le plan cosmétique qui ne peuvent être contrôlées par un traitement local, les recommandations suggèrent d’envisager l’administration de glucocorticoïdes par voie orale (5).

La surveillance d’un patient atteint de sarcoïdose doit reposer sur la clinique (notamment évolution des symptômes initiaux, signes respiratoires, fatigue). Elle doit se faire à un rythme régulier de 3 à 6 mois jusqu’à guérison. L’imagerie thoracique par radiographie standard (il est inutile de répéter les scanners) et les EFR doivent être réalisées régulièrement au cours du suivi afin de ne pas méconnaître une progression de la maladie sans retentissement clinique. Le patient doit également bénéficier de contrôle de l’ECG à la recherche d’apparition de trouble de la conduction pouvant amener à rechercher une atteinte cardiaque jusqu’alors méconnue. Il conviendra bien entendu de surveiller les effets indésirables liés à la prise de corticoïdes au long cours (ostéoporose, diabète cortico-induit, HTA, prise pondérale, troubles ioniques). Il faudra également veiller à ce que le patient ne soit pas supplémenté en vitamine D au risque de développer une hypercalcémie secondaire.

Dr Olivier Voisin (service de médecine interne, groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, Paris)

BIBLIOGRAPHIE

1. Duchemann B, Annesi-Maesano I, Jacobe de Naurois C, Sanyal S, Brillet P-Y, Brauner M, et al. Prevalence and incidence of interstitial lung diseases in a multi-ethnic county of Greater Paris. Eur Respir J. août 2017;50(2):1602419. 2. Spagnolo P, Rossi G, Trisolini R, Sverzellati N, Baughman RP, Wells AU. Pulmonary sarcoidosis. Lancet Respir Med. mai 2018;6(5):389‑402. 3. Judson MA, Thompson BW, Rabin DL, Steimel J, Knattereud GL, Lackland DT, et al. The diagnostic pathway to sarcoidosis. Chest. févr 2003;123(2):406‑12. 4. Markatis E, Afthinos A, Antonakis E, Papanikolaou IC. Cardiac sarcoidosis: diagnosis and management. Rev Cardiovasc Med. 30 sept 2020;21(3):321‑38. 5. Baughman RP, Valeyre D, Korsten P, Mathioudakis AG, Wuyts WA, Wells A, et al. ERS clinical practice guidelines on treatment of sarcoidosis. Eur Respir J [Internet]. 1 janv 2021 [cité 22 nov 2021]; Disponible sur: https://erj.ersjournals.com/content/early/2021/06/10/13993003.04079-2020 6. McKinzie BP, Bullington WM, Mazur JE, Judson MA. Efficacy of short-course, low-dose corticosteroid therapy for acute pulmonary sarcoidosis exacerbations. Am J Med Sci. janv 2010;339(1):1‑4. 7. Yazaki Y, Isobe M, Hiroe M, Morimoto S, Hiramitsu S, Nakano T, et al. Prognostic determinants of long-term survival in Japanese patients with cardiac sarcoidosis treated with prednisone. Am J Cardiol. 1 nov 2001;88(9):1006‑10.


Source : lequotidiendumedecin.fr