INTRODUCTION
La toux chronique est un problème de santé publique auquel sont confrontés, en première ligne et fréquemment, les médecins généralistes. Sa prévalence au niveau mondial serait de 9,6 % (1) mais une étude française parue en 2021 l’évalue plutôt à 4,8 % (2) de la population adulte, dont deux tiers de femmes.
Les précédentes recommandations, émises par la Société française d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie de la face et du cou (SFORL), dataient d’il y a presque 20 ans. Les dernières recommandations françaises, présentées en janvier 2023 au 27e Congrès de pneumologie de langue française (CPLF), sont consensuelles, rédigées sous l’égide de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) en collaboration avec les sociétés savantes concernées, dont la SFORL, la Société française de phoniatrie et de laryngologie (SFPL) et la Société nationale française de gastro-entérologie (SNFGE).
Alors que la toux aiguë post-infection virale dure moins de trois semaines, il existe une toux chronique définie de manière arbitraire par une durée supérieure ou égale à huit semaines qui doit être prise en charge de manière spécifique. Cette entité est identifiée comme une maladie à part entière avec des phénotypes, des causes et une prise en charge propre. Absente de la 10e révision de la classification internationale des maladies (CIM-10) en vigueur, la pathologie « toux chronique » devrait être inscrite dans la prochaine CIM-11.
La principale problématique de la prise en charge de la toux chronique est la difficulté à identifier la ou les étiologies à l’origine de la pathologie.
OBJECTIVER ET ÉVALUER
À l’interrogatoire, il est important de faire le distinguo avec le hemmage (raclement de gorge) souvent nommé « toux » par les patients. Il est aussi stipulé de ne pas exclure le diagnostic de toux chronique si le patient ne présente pas de toux pendant la consultation. À noter que chez l’adulte, la durée moyenne de la toux, en cas de coqueluche, est de 42 jours (de 27 à 66 jours). Pour cette raison, la coqueluche n’est pas une cause classique de toux chronique.
Toute prise en charge devrait débuter par une évaluation de la toux : sa sévérité sur une échelle EVA (échelle visuelle analogique), la recherche et le traitement des complications (troubles du sommeil, vomissements, céphalées, fatigue, fractures costales, incontinence urinaire, handicap social, tableau dépressif, etc.) ainsi que la réalisation d’une radiographie de thorax. Une évaluation objective par enregistrement de la toux, à l’aide d’un smartphone par exemple, est intéressante. Le questionnaire Leicester Cough Questionnaire (LCQ), qui comprend 19 questions, est un outil fiable pour l’évaluation du retentissement de la toux et l’évaluation de la réponse aux traitements mais pas obligatoirement adapté en soins primaires.
SIGNES D’ALERTE
Lors d’une première consultation, il est primordial de rechercher tout signe d’alerte : altération de l’état général, syndrome infectieux à répétition, dyspnée d’effort, hémoptysie, apparition ou modification de la toux chez un fumeur, dysphonie, dysphagie, fausses routes, adénopathie(s) cervicale(s) suspecte(s).
En cas d’anomalie de l’auscultation pulmonaire ou de signes d’alarme, un scanner thoracique est à réaliser en première intention. Plus largement, toute anomalie de l’examen clinique cardiopulmonaire, clinique ORL ou visible à la radiographie thoracique doit faire recourir à l’exploration scanographique. La toux chronique peut en effet révéler une pathologie néoplasique, une pathologie respiratoire chronique ou cardiaque grave.
DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE
Si aucun signe d’alarme n’est retrouvé, l’arrêt du tabagisme doit être entrepris, y compris de l’e-cigarette qui peut déclencher une toux chronique. Dans une étude suisse, la prévalence de la toux chronique était de 3,3 % chez les non-fumeurs, 3 % chez les fumeurs sevrés et 9,2 % chez les fumeurs actifs (3).
De plus, l’éviction des traitements tussigènes doit être testée sur quatre semaines. L’implication des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) dans le déclenchement de la toux est démontrée (4). Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA) sont moins impliqués que les IEC. La toux intervient le plus souvent dans les six premiers mois mais des durées plus longues sont possibles.
Sans résultat, les trois causes les plus fréquentes de toux doivent alors être recherchées.
Il peut s’agir d’une rhinosinusite, identifiée grâce à l’interrogatoire (obstruction nasale ou rhinorrhée antérieure ou postérieure +/- associées à une pesanteur faciale et/ou une réduction partielle ou totale de l’odorat > 12 semaines), l’examen physique et une nasofibroscopie.
Si les éléments font pencher en faveur d’un syndrome de toux chronique des voies aériennes supérieures (Stovas) – qui va de la rhinosinusite chronique à la dysfonction du larynx, fréquente, favorisée par une toux chronique et qui peut l’entretenir à son tour –, un traitement d’épreuve associant lavage des fosses nasales au sérum physiologique et corticothérapie nasale peut être instauré. En dehors de la rhinite allergique, il n’est pas recommandé d’utiliser un antihistaminique pour le traitement d’un Stovas.
Seconde étiologie fréquente, un reflux gastro-œsophagien (RGO) peut être suspecté d’après l’interrogatoire. Le lien est potentiellement bidirectionnel, le reflux pouvant être à l’origine de la toux (sensibilisation du réflexe de toux et/ou microaspiration), et la toux pouvant elle-même induire la survenue d’épisodes de reflux. La présence d’une symptomatologie clinique de reflux (pyrosis, régurgitations) justifie un traitement anti-reflux adapté, en l’occurrence les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). En dehors d’une symptomatologie clinique de reflux, le RGO ne doit pas être considéré comme une cause habituelle de la toux chronique.
Enfin, un asthme peut être découvert devant une toux en tant que symptôme prépondérant voire unique. 24 à 32 % des patients asthmatiques sont tousseurs chroniques. Dans l’hypothèse d’un asthme, à l’interrogatoire et à l’examen physique s’ajoutent une spirométrie (avant et après l’inhalation d’un β2-mimétique de courte durée d’action) et, si possible, une mesure de la fraction exhalée du monoxyde d’azote (FeNO), laquelle permet d’orienter la mise en route d’une corticothérapie inhalée. Un traitement de fond à base de corticothérapie inhalée est à instaurer en cas de « toux équivalent d’asthme », c’est-à-dire un asthme s’exprimant par une toux isolée. La corticothérapie inhalée a un effet démontré sur la toux chronique chez les patients asthmatiques (5). Les β2-mimétiques de longue durée d’action, les anticholinergiques et les anti-leucotriènes ont des effets modestes sur la toux.
D’autres causes de toux chronique doivent être envisagées, dont le syndrome de la toux chronique par excès de sensibilité. Cette entité est liée à l’activation du réflexe de toux en lien avec une sensibilité augmentée des voies neurologiques de la toux, pour des stimuli peu tussigènes (hypertussie) ou non tussigènes (allotussie), comme le rire, le chant, le décubitus dorsal, les odeurs, le repas, l’exercice, etc. Les mécanismes ne sont pas élucidés mais pourraient faire intervenir un excès de sensibilité des récepteurs à la toux. Cette entité semble toucher particulièrement les femmes entre 50 et 60 ans. Le traitement est basé sur des neuromodulateurs – l’amitriptyline (inhibiteur non sélectif de la recapture de la monoamine), la prégabaline ou la gabapentine (anti-épileptiques) – associés à une rééducation orthophonique ou de kinésithérapie.
Enfin, le concept de toux « psychogène » est abandonné car stigmatisant pour les patients et à l’origine d’errance diagnostique. On parle aujourd’hui de syndrome de somatisation de la toux, qui s’intègre dans un contexte de pathologie psychiatrique évidente et relève d’une prise en charge de psychothérapie.
EN CHIFFRES
Dans une étude publiée en 2021, réalisée chez 15 152 sujets en France, l’auto-déclaration de la toux chronique au cours des 12 derniers mois est de 4,8 % (2). Parmi eux, 41 % déclarent avoir eu un diagnostic de toux chronique par un professionnel de santé et seuls 28 % des patients diagnostiqués prenaient un traitement pour leur toux.
L’incontinence urinaire peut toucher près de 50 % des patients tousseurs chroniques (7).
Le handicap social existe chez près de 80 % des patients. Un tiers des sujets tousseurs chroniques (< 65 ans) ont dû faire chambre à part à cause de la toux (8).
Des critères de dépression sont observés chez 15,8 à 53 % des patients tousseurs chroniques (9).
La toux est présente chez 23 à 37 % des patients atteints de cancers tous sites confondus et 47 à 86 % des patients atteints de cancer du poumon (10).
20 à 25 % des toux chroniques sont des toux chroniques réfractaires ou inexpliquées (Tocri).
EXPLORATIONS COMPLÉMENTAIRES
Du domaine de la seconde intention, les explorations, à adapter au contexte, englobent l’ensemble des examens complémentaires à réaliser, fondé sur l’interrogatoire.
La tomodensitométrie thoracique est nécessaire en cas de suspicion de pathologies respiratoires (symptômes respiratoires associés à la toux, anomalie à l’auscultation pulmonaire, signes d’alarme évoquant une pathologie néoplasique). Son intérêt est moindre dans les autres cas. La tomodensitométrie des sinus (cone beam) peut éventuellement être judicieuse si l’on suspecte une tumeur en raison du caractère unilatéral, lorsqu’on recherche une complication infectieuse ou tumorale, lorsqu’il existe des épisodes aigus de sinusites dites à risque de complication grave comme les localisations sphénoïdales, frontales et ethmoïdales, voire en cas de doute diagnostique ou d’indication opératoire. Il n’est pas conseillé de réaliser un scanner des sinus en cas de toux chronique sans examen clinique ORL préalable dont une nasofibroscopie. À noter, la radiographie des sinus n’a aucun intérêt en cas de toux chronique.
L’endoscopie bronchique est un examen incontournable si une pathologie respiratoire est suspectée (infections/colonisations bactériennes et fongiques, bronchite à éosinophiles, trachéobronchomalacie, trachéobronchopathie…), ainsi qu’une pléthysmographie et/ou une capacité de diffusion du monoxyde de carbone (DLCO) en cas de pathologie respiratoire sous-jacente ou de suspicion d’une telle cause.
L’exploration morphologique et fonctionnelle laryngée est souvent utile, les dysfonctions du larynx expliquant une partie non négligeable des toux chroniques. Cependant, l’exploration de cet organe est d’une grande complexité et c’est pourquoi l’interrogatoire (présence de toux à la parole, dysphonie ou hemmage) aide à suggérer le diagnostic. Réalisé par un médecin ORL phoniatre, l’examen fonctionnel et plus particulièrement laryngé et phoniatrique a pour but d’éliminer une cause motrice et/ou sensitive ou fonctionnelle. Cela nécessitera d’évaluer le pharyngo-larynx en nasofibroscopie.
L’exploration fonctionnelle digestive est à réaliser en cas de suspicion d’origine digestive de la toux (pHmétrie-impédancemétrie et/ou manométrie œsophagienne, hors traitement par IPP).
TOUX CHRONIQUE RÉFRACTAIRE OU INEXPLIQUÉE (TOCRI)
Sans diagnostic retrouvé malgré les explorations complémentaires, ou si aucune amélioration de la toux n’est obtenue en dépit d’un traitement étiologique bien conduit, le diagnostic de toux chronique réfractaire ou inexpliquée (Tocri) peut être posé. Sa prise en charge relève du spécialiste. Les experts espèrent que le fait de nommer cette maladie réduira l’errance diagnostique et thérapeutique actuelle.
Également appelée toux chronique non soulagée, elle représente moins d’un quart des cas de toux chronique. Elle doit avoir fait l’objet d’un suivi bien conduit depuis au moins six mois et répondre à l’un de ces deux critères :
• aucune cause n’est retrouvée malgré une exploration extensive orientée par la clinique et qui comporte a minima un interrogatoire exhaustif, une nasofibroscopie ORL, une radiographie de thorax et une spirométrie,
• la toux n’est pas améliorée malgré une prise en charge optimale de causes cliniquement évidentes de toux chronique.
Il est suggéré par les experts de réaliser un test de provocation de la toux pour ces patients avec Tocri (ce test implique la stimulation des fibres nerveuses afférentes innervant le larynx, la trachée et les bronches par l’inhalation des concentrations croissantes d’un agent tussigène).
Il n’existe à ce jour aucun médicament spécifique de la toux chronique réfractaire ou inexpliquée. Mais la situation va bientôt changer avec l’arrivée attendue, en 2024, en France, des antagonistes des récepteurs transmembranaires purinergiques P2X3, exprimés dans les nerfs sensoriels périphériques et le noyau du tractus solitaire.
En attendant, dans un contexte de Tocri, les neuromodulateurs à la dose efficace la plus faible sont recommandés en cas de répercussions majeures de la toux, sans hiérarchie entre eux, faute d’études comparatives : l’amitriptyline (inhibiteur non sélectif de la recapture de la monoamine), la prégabaline ou la gabapentine (anti-épileptiques) peuvent être essayés. Une méta-analyse réalisée en 2018 confirme l’efficacité de traitements neuromodulateurs dans la toux chronique (6).
En cas d’échec, la morphine à faible dose (5 à 10 mg/j de sulfate de morphine, deux fois par jour) peut apporter un soulagement considérable.
Les composés à base de menthol contrôlent ponctuellement la toux (dont celle par excès de sensibilité, mais pas uniquement). La codéine, les antitussifs et l’azithromycine sont déconseillés car inefficaces et associés à des effets secondaires.
La méditation pleine conscience est une technique qui peut être proposée.
Enfin, la prise en charge orthophonique fonctionnelle spécialisée dans le domaine, lorsqu’elle est accessible, est recommandée en cas de Tocri du fait de la dysfonction du larynx. C’est aussi l’intérêt des programmes de kinésithérapie avec rééducation ventilatoire, très utiles aux patients présentant une toux chronique réfractaire, à raison de quatre séances sur un ou deux mois.
Hélène Joubert (rédactrice) avec le Pr Laurent Guilleminault (pneumologue, pôle des voies respiratoires, service de pneumo-allergologie, CHU de Toulouse, et coordinateur des recommandations Guidelines on the management of chronic cough in adults endorsed by French speaking societies 2023)
BIBLIOGRAPHIE
1. Song W-J, Chang Y-S, Faruqi S, et al. The global epidemiology of chronic cough in adults: a systematic review and meta-analysis. European Respiratory Journal. 2015:ERJ-02187-02014.
2. Guilleminault L, Martin A, Fonseca E, et al. Prévalence de la toux chronique ressentie et diagnostiquée chez l’adulte en France. Revue des maladies respiratoires actualités. 2021;13(1):16-17.
3. Zemp E, Elsasser S, Schindler C, et al. Long-term ambient air pollution and respiratory symptoms in adults (SAPALDIA study). The SAPALDIA Team. Am J Respir Crit Care Med. 1999;159(4 Pt 1):1257-1266.
4. Brugts JJ, Arima H, Remme W, et al. The incidence and clinical predictors of ACE-inhibitor induced dry cough by perindopril in 27,492 patients with vascular disease. International journal of cardiology. 2014;176(3):718-723.
5. Tagaya E, Kondo M, Kirishi S, et al. Effects of regular treatment with combination of salmeterol/fluticasone propionate and salmeterol alone in cough variant asthma. The Journal of asthma. 2015;52(5):512-518.
6. Ryan NM, Vertigan AE, Birring SS. An update and systematic review on drug therapies for the treatment of refractory chronic cough. Expert opinion on pharmacotherapy. 2018;19(7):687-711.
7. Young EC, Smith JA. Quality of life in patients with chronic cough. Therapeutic advances in respiratory disease. 2010;4(1):49-55.
8. Kuzniar TJ, Morgenthaler TI, Afessa B, Lim KG. Chronic cough from the patient’s perspective. Paper presented at: Mayo Clinic Proceedings2007.
9. McGarvey LP, Carton C, Gamble LA, et al. Prevalence of psychomorbidity among patients with chronic cough. Cough. 2006;2(1):4.
10. Hanks G, Cherny NI, Christakis NA, Kaasa S. Oxford textbook of palliative medicine. Oxford university press; 2011.
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