Les douleurs menstruelles modérées à sévères touchent une femme sur trois à une femme sur deux (1). Symptôme considéré comme naturel par beaucoup de femmes, il est négligé par un nombre trop important d’entre elles, alors qu’il engendre une absence au travail ou à l’école dans 17 % des cas (2).
LA DYSMÉNORRHÉE PRIMAIRE
► Le début typique d’une dysménorrhée primaire a lieu à l’adolescence. Les patientes décrivent habituellement des douleurs médianes récurrentes, à type de crampes, pouvant débuter quelques heures avant le début des règles et se terminer quelques jours après leur fin. On peut aussi retrouver des douleurs pelviennes s’étendant dans les fosses iliaques, aux lombes ou aux cuisses. Les douleurs sont assez comparables d’un cycle à l’autre.
► Le principal phénomène est l’hyperactivité de l’utérus avec un tonus de base supérieur, des contractions plus fortes, plus fréquentes et mal coordonnées. L’utérus respirant lors des phases de repos, cette hyperactivité entraîne une hypoxie utérine, habituellement comparée à un “angor d’utérus”. La douleur est modulée et accentuée par des phénomènes inflammatoires via l’intermédiaire des prostaglandines : ce sont les signes généraux. Cela peut se traduire par des symptomes allant des nausées, vomissements, diarrhées, céphalées, malaises, jusqu'à la fièvre et des syncopes.
► Il est difficile d’évaluer l’intensité d'une dysménorrhée. Des études longitudinales ont montré que les dysménorrhées primaires semblent comparables aux douleurs de colique néphrétique, tant sur le plan subjectif (échelle visuelle analogique) qu'au niveau des marqueurs biologiques de la douleur (3). L’acmé douloureuse se situe généralement au moment où le flux menstruel est le plus important (4). Pour évaluer l’intensité et l’évolution, nous pouvons nous aider de l’échelle visuelle analogique (ÉVA) du retentissement sur l’activité quotidienne (école, travail), de l’utilisation et de l’efficacité des antalgiques et de la présence des signes généraux, présents généralement dans les formes les plus sévères (5).
QUI SONT LES PLUS À RISQUE ?
Les adolescentes sont les patientes pour lesquelles notre attention doit être particulière (2).
► Les symptômes sont plus marqués et la dysménorrhée sévère est liée à une augmentation des symptômes dépressifs et à une insatisfaction de l’apparence corporelle (6). Il faut leur signaler que des douleurs invalidantes ne sont pas normales, et qu’une prise en charge est possible.
► Les autres facteurs de risque de dysménorrhée primaire sont un indice de masse corporelle faible (20), des menstruations abondantes avec caillots, des cycles longs, un tabagisme (même secondaire à l'installation des douleurs), des antécédents d’infection génitale haute, des ligatures tubaires ou des violences sexuelles (7). Les patientes ayant un syndrome prémenstruel marqué sont aussi plus sujettes aux dysménorrhées. La nulliparité est aussi une cause retrouvée, mais elle peut être un cofacteur lié à l’âge d’une part et aux causes secondaires pouvant avoir un impact sur la fertilité d’autre part, comme l’endométriose.
► La dépression et l’anxiété sont associées à la dysménorrhée, mais il est difficile de savoir si elles constituent une cause ou une conséquence des douleurs menstruelles de la femme.
PRIMAIRE OU SECONDAIRE ?
► On parle de dysménorrhée primaire (ou primitive pour certains) lorsqu’aucune cause n’est retrouvée. La dysménorrhée secondaire (ou organique) peut être due à une situation anormale de l’endomètre (adénomyose ou endométriose) ou à une conformation anormale de l’utérus (myome utérin, sténose cervicale ou autre lésion obstructive du tractus génital).
Les autres causes non gynécologiques de douleurs menstruelles ou augmentant pendant les règles sont comparables à celles des douleurs pelviennes chroniques : inflammations pelviennes, adhérences, colopathie fonctionnelle, cystite interstitielle, douleurs myofasciales…
► La cause principale de dysménorrhée secondaire est l’endométriose, particulièrement chez l’adolescente (8). Distinguer dysménorrhée primaire et secondaire n’est donc pas toujours aisé. Un aide-mémoire en ce sens a été proposé pour aider les praticiens (tableau T1).
EXAMEN ABDOMINAL OU PELVIEN
Il n’est généralement pas nécessaire initialement, particulièrement chez des adolescentes ayant des symptomatologies évoquant une dysménorrhée primaire et non actives sexuellement. Il peut se justifier en l’absence de réponse au traitement conventionnel ou en cas de pathologie organique suspectée.
PRISE EN CHARGE INITIALE
► En cas de dysménorrhée, il n’y a pas lieu d’attendre les résultats d’examens avant de commencer le traitement antalgique (9).
► Dans les dysménorrhées primaires, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) constituent la thérapeutique de référence. Le traitement idéal (10) est prophylactique (avant l’apparition des règles et des douleurs) et à dose efficace. Il n’y a pas de supériorité d’une molécule en particulier. On pourrait par exemple proposer de l’ibuprofène 400 à 800 mg toutes les 6 heures per os (10). Lors d’un traitement prophylactique, deux à trois jours suffisent. Malheureusement, le traitement n’est généralement pas pris de manière idéale : 16 % des femmes seulement le prennent en prophylactique et 13 % prennent une dose inférieure à celle prescrite (11). Un travail d’éducation est donc nécessaire en consultation pour faire comprendre l’intérêt d’utiliser au mieux cette thérapeutique.
► La contraception œstroprogestative est efficace dans le traitement des dysménorrhées (12), quel que soit leur type. Elle peut être proposée en première intention aux patientes souhaitant une contraception. Il ne semble pas y avoir de molécule supérieure en cas de dysménorrhée. Cependant, les œstroprogestatifs en continu sur trois mois actifs avec sept jours d’hémorragie de privation semblent plus efficaces que les œstroprogestatifs ayant 21 jours actifs et sept jours de privation (13). Il est aussi possible de proposer d’autres types de contraception, comme l’anneau vaginal œstroprogestatif, l’implant contraceptif à l’étonogestrel ou le système intra-utérin au lévonorgestrel (1).
► L’utilisation de coussins chauffants a montré son efficacité dans des études bien menées. Ils soulagent la douleur plus rapidement lors de l’utilisation d’anti-inflammatoire non stéroïdien (1). D’autres thérapies complémentaires non conventionnelles ont fait leurs preuves. La consommation de gingembre (750 mg à 2000 mg pendant les trois ou quatre premiers jours) a montré son intérêt dans des études randomisées. La neurostimulation transcutanée à haute fréquence (TENS-hf) constitue elle aussi une option thérapeutique efficace (14). L’acupuncture pourrait avoir un effet positif, mais les études ne sont pas univoques (15).
► En ce qui concerne l’hygiène de vie, les données sont généralement décevantes tant pour les types de régimes, les compléments alimentaires ou l’activité sportive (1).
► Contrairement à l’endométriose, les agonistes de la GnRH (Décapeptyl, Enantone, Gonapeptyl) ne sont pas recommandés dans les dysménorrhées primaires résistantes du fait de leur balance bénéfice/risque. Le diénogest, progestatif, pourrait avoir son intérêt dans les dysménorrhées (1), mais l’absence de remboursement ainsi que son coût important est généralement un frein à sa prescription.
EN CAS D'ÉCHEC DE LA PRISE EN CHARGE INITIALE
Il faudra se méfier de l’efficacité immédiate du traitement, car le placebo a un effet important, surtout les deux premiers mois (16). Une période de trois à six mois est assez longue et comprend suffisamment de cycles pour se faire une idée.
► Si les traitements ont été pris convenablement et à bonne dose, il n’est pas utile d’attendre plus longtemps une amélioration (17). S’il s’agit d’une endométriose, les douleurs de nociception s'accompagnent rapidement d’une hyperalgésie et d'une sensibilisation centrale, dont l’installation n’est pas souhaitable.
► Une évaluation complémentaire est alors nécessaire, à la recherche d’une cause secondaire. Après avoir réévalué les antécédents et avec l’accord de la patiente, un examen physique dirigé est nécessaire. Une immobilité du pelvis ou un utérus rétroversé feront penser à une endométriose, un gros utérus douloureux à une adénomyose, un gros utérus irrégulier à des myomes utérins…
► L’échographie pelvienne permettra de rechercher l’essentiel des causes utérines : myomes utérins, polypes, malformations.
► En cas de suspicion d’endométriose ou d’adénomyose, il peut être utile de demander une IRM pelvienne avant la consultation spécialisée. Les symptômes évocateurs d’endométriose sont la résistance aux AINS, une dysménorrhée intense, une dyspareunie profonde, des douleurs à la défécation ou des signes fonctionnels urinaires à recrudescence cataméniale (17). Le dosage du CA 125 a été parfois utilisé pour différencier les dysménorrhées primaires de celles liées à l’endométriose. Cependant, il n’est pas recommandé de pratiquer ce dosage en première intention du fait de sa faible sensibilité et spécificité.
► Le dépistage du Chlamydia trachomatis par PCR chez les populations à risque, particulièrement chez les femmes de moins de 25 ans est recommandé (1). La présence d’une infection génitale haute et ses séquelles pouvant majorer les syndromes préexistants.
► Lors de la consultation spécialisée, le gynécologue pourra alors avoir la cœlioscopie “facile”, à la recherche d’une endométriose, de séquelles d’infection génitale haute (ex-salpingite) ou d’adhérence pelvienne. Si la cause est retrouvée, il est alors possible d’envisager un traitement étiologique. Dans le cas contraire, une prise en charge chirurgicale s'impose parfois. S’il n’est pas nécessaire de préserver la fertilité, une ablation de l’endomètre ou une hystérectomie peut être réalisée. Pour les patientes souhaitant obtenir une grossesse à court, moyen ou long terme, des techniques de dénervation pelvienne peuvent être utiles dans les cas les plus sévères, par ablation du nerf utérin (ALNU) ou neurectomie présacrée (NPS) (1).
EN RÉSUMÉ
► La prise en charge initiale pourrait comporter :
– l’utilisation d'un coussin chauffant dès que cela est possible,
– des AINS à bonne dose, en prophylactique si cela est possible, une contraception hormonale si une contraction est souhaitée (œstroprogestative orale, par anneau, microprogestative par implant ou système intra-utérin),
– l’utilisation éventuelle d'une thérapie complémentaire non conventionnelle comme la consommation de gingembre ou la neurostimulation transcutanée à haute fréquence.
► Si le traitement initial est efficace, il n’y a pas lieu de poursuivre les explorations (1).
► Si trois à six mois d’une thérapeutique ayant fait ses preuves et bien prise n'ont pas porté leurs fruits, une consultation spécialisée est alors nécessaire. Pour avancer la prise en charge, le praticien pourra :
– revoir les antécédents de la patiente,
– pratiquer un examen physique dirigé,
– demander une échographie pelvienne à la recherche d’une anomalie de l’utérus ou évoquant une endométriose,
– demander une IRM pelvienne en présence d’autres symptômes évocateurs d’endométriose,
– demander un dépistage du Chlamydia trachomatis chez une femme à risque.
Bibliographie
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17. Haute Autorité de Santé - Prise en charge de l’endométriose [Internet]. [cited 2018 Feb 24]. Available from: https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2819733/fr/prise-en-charge-de-l…
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