Dossier

Entretien avec la ministre de l'Enseignement supérieur

Frédérique Vidal : « Une quatrième année de DES de médecine générale ne s'impose pas »

Par Christophe Gattuso et Amandine Le Blanc - Publié le 23/11/2018
Frédérique Vidal : « Une quatrième année de DES de médecine générale ne s'impose pas »

Frédérique Vidal
VOISIN/PHANIE

Suppression du numerus clausus en 2020, disparition de la Paces, diversification du profil des médecins, fin programmée des ECN... Dans un entretien exclusif au Généraliste, la ministre de l'Enseignement supérieur présente la profonde réforme des études médicales. Frédérique Vidal n'est pas favorable à l'allongement à tout prix de l'internat de médecine générale de 3 à 4 ans. Persuadée que « la médecine générale va devenir de plus en plus passionnante », elle encourage les généralistes enseignants à porter une vision positive de leur métier.

Pourquoi avoir décidé de supprimer le numerus clausus et la Paces ?

Frédérique Vidal Nous avons posé avec Agnès Buzyn un diagnostic sur ce que seront potentiellement les pathologies et la médecine de demain. Avec le vieillissement de la population, les maladies chroniques seront en nombre plus important. Elles nécessiteront une prévention et un accompagnement par une équipe de santé pluridisciplinaire comportant des médecins, des paramédicaux etc. Comment faire pour préparer ces futurs professionnels de santé ? Aujourd’hui, presque tous les médecins sont sélectionnés en première année selon les mêmes critères et compétences. Il ne faut donc pas s’étonner d’avoir des praticiens avec des profils peu différenciés. Or, nous allons avoir besoin de médecins à même de mieux comprendre ce qui se cache derrière les algorithmes et les big data, d’autres qui auront davantage de compétences issues des sciences humaines.

Qu’allez-vous changer dans le mode de sélection des médecins ?

La formation de ces praticiens ne doit plus seulement être tournée vers les disciplines médicales et biologiques traditionnelles. De nos jours, la première année de Paces n’est pas une année fondamentale pour la formation médicale. Finalement, elle est juste là pour sélectionner. Nous voulons changer de paradigme. Les médecins doivent venir d’horizons plus diversifiés. Nous souhaitons que des jeunes puissent s’engager dans des études supérieures et décider, après une ou deux années de formation, de rejoindre une formation de médecin. Nous devons faire découvrir l’enseignement supérieur et un certain nombre de disciplines. Les étudiants pourront ensuite, sur la base de ce qu’ils ont appris en première ou deuxième années, rejoindre un cursus médical. Cela va permettre aussi de démarrer des études dans une faculté de sciences, de lettres dans son université à proximité et rejoindre la faculté de médecine ensuite. De plus, cela ne rallongera pas les études.

Quand vous prononcerez-vous définitivement sur l’avenir de la PACES ?

Nous attendons un rapport du Professeur Saint-André mi-décembre pour imaginer comment se feront les admissions dans les études de santé. Plusieurs expérimentations ont déjà été menées, notamment les alter-Paces. Nous ne partons pas de rien, nous avons déjà pensé à des deuxièmes années plus pluridisciplinaires.

Sans numerus clausus et avec ce modèle, sera-t-il possible de faire des projections démographiques ? 

La suppression du numerus clausus ne signifie en aucun cas que nous allons déréguler. En fonction des capacités de formation et des besoins exprimés par les territoires, il y aura une régulation. Mais il n’y aura plus un nombre fixé depuis Paris d’étudiants qui auront le droit d’être reçus à un concours formaté. Le sujet est en discussion. Il s’agira probablement de fourchettes d’étudiants autorisés à poursuivre le cursus si la capacité de formation de la faculté le permet. Nous ne sommes pas à une à deux unités près par an ! Pourquoi dès lors nous priver d’avoir un peu plus de jeunes formés une année s’ils ont prouvé leur motivation et leur capacité, et un peu moins l’année d’après.

Le jeune qui rentre aujourd’hui dans des études de médecine en sortira dans 12 à 15 ans. La suppression du numerus clausus, qui aura lieu à la rentrée 2020, ne va pas régler le problème des déserts médicaux aujourd’hui. Par contre, avoir modifié l’accès aux études de santé ainsi que les 2e et 3e cycles peut permettre à terme de lutter contre ces déserts.

Les ECNI sont amenées à disparaître en 2022. Comment s’effectuera dorénavant le choix de spécialité ?

En supprimant les épreuves classantes nationales, nous sortons du bachotage. Nous voulons redonner une place aux valences pratiques et valoriser l’expérience dans des classements par spécialité. Ainsi, par exemple, avoir un choisi un stage d’anatomie sera un plus pour quelqu’un qui souhaite être chirurgien alors qu’un stage dans telle autre spécialité sera neutre. Le fait que les classements deviennent variables par spécialité permettra de valoriser toutes les expériences. Et puis la simulation tiendra une place très importante pour valoriser l’apprentissage pratique. 

Comment seront évalués les futurs internes ?

Il y aura deux types d’évaluation en 5e et 6e années. Il y aura toujours un examen et une évaluation des connaissances, une autre des compétences dont le calendrier reste à fixer. Nous continuerons évidemment d’évaluer les connaissances mais en mettant aussi en avant d’autres choses, en gardant à l’idée que nous aurons besoin de médecins ne faisant pas tous le même métier. Et puis il est très difficile de prédire ce que sera la médecine de demain avec l’émergence des big data et de la télémédecine. Cela signifie donc aussi que les futurs médecins devront être capables de se former au fur à mesure.

Depuis la réforme du 3e cycle, l’an dernier, environ la moitié des nouveaux internes en médecine générale suivent un cursus de transition. Quand l’ensemble des internes pourront-ils être formés selon la nouvelle maquette ?

Notre objectif est évidemment que cette maquette puisse se déployer complètement le plus rapidement possible. Cela veut dire aussi que nous repensons les organisations, les façons de recenser les stages. Il faut à la fois que les choses se mettent en place vite, tout en veillant à ne pas perturber la qualité de la formation. Le recrutement et la formation des maîtres de stage sont des sujets qui avancent assez bien. C’était le frein principal à la mise en place de la maquette.

La France compte près de 10 000 généralistes maîtres de stage. Quel devrait être le nombre idéal de MSU pour que tous internes puissent bénéficier des stages nécessaires à la réalisation de la maquette ?

La question ne se pose pas en ces termes. Je pense que bientôt, les généralistes seront tous d’anciens internes formés en ambulatoire. Le fait de ne pas être maîtres de stage deviendra une anomalie. Ce problème d’effectifs de maîtres de stage va disparaître. Nous assistons à une période de transition. Spontanément, les nouveaux généralistes participeront à la formation de leurs futurs collègues.

Les enseignants de médecine générale réclament le passage du DES de médecine générale de 3 à 4 ans. Y êtes-vous favorables ?

Même si la maquette du DES est très riche et qu’il est prévu un nouveau stage obligatoire en santé mentale par exemple, il ne faut pas imaginer qu’ajouter des compétences signifie des heures ou une année de formation en plus. L’ajout d’une quatrième année ne s’impose pas. Tous les futurs médecins vont être confrontés à un moment ou un autre à la question des données personnalisées. Ce n’est pas pour autant qu’il faut ajouter une année de DES pour que tout le monde comprenne les big data et l’intelligence artificielle. La quatrième année potentielle ne doit pas être présentée comme une conséquence mécanique de l’apparition de nouveaux stages. La question d’une quatrième année de DES se fera en concertation avec les internes et les enseignants si un consensus se dégage sur ce qu’elle apporte. Nous n’allongerons pas le DES pour l’allonger.
 


Je demande aux généralistes enseignants de se rendre compte du rôle majeur qu’ils ont à jouer dans la façon dont on est en train de repenser à la fois les questions de prévention, de santé, d’accompagnement, d’ambulatoire…

Les généralistes enseignants sont réunis au congrès du CNGE à Tours. Avez-vous un message à leur faire passer ?

Je leur demande de se rendre compte du rôle majeur qu’ils ont à jouer dans la façon dont on est en train de repenser à la fois les questions de prévention, de santé, d’accompagnement, d’ambulatoire… La médecine générale va devenir de plus en plus passionnante. Elle ressemble à ce que les jeunes ont à l’esprit quand ils disent : je veux être médecin. La médecine s’est beaucoup technicisée et les médecins généralistes tiennent une place particulière dans notre imaginaire.

La médecine générale demeure un parent pauvre de l’université française avec un ratio d’un enseignant ETP pour 86 étudiants. La spécialité fera-t-elle l’objet d’un rattrapage ? 

Je ne suis pas sûre qu’il faille prendre les choses sur le seul plan comptable. Quand on enseigne, on porte son métier et les étudiants se disent, cela doit être formidable de faire ce métier-là, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de difficultés. Affirmer que l’enseignement de la médecine générale est un parent pauvre, ce n’est pas le rendre séduisant. Si j’avais un message à faire passer, je dirais que cette forme de médecine est probablement une des plus enthousiasmantes qui soient car elle se rapproche le plus de l’humain dans sa complexité.

Un rapport vient de vous être remis qui préconise une recertification tous les 6 ans des nouveaux médecins diplômés à partir de 2021. Y êtes-vous favorables ? Pourquoi les médecins en exercice seront-ils exemptés de cette obligation ?

Nous allons voir avec Agnès Buzyn ce que nous retiendrons de ce rapport que nous a remis le Pr Uzan la semaine dernière. Quand on décide de modifier une règle, il faut fixer une date à laquelle ce changement doit intervenir.

Ne nous voilons pas la face, la médecine a changé. Même si nous voulons garder la dimension de la relation humaine, nous sommes de plus en plus devant une obligation de résultats avec un risque de judiciarisation de la médecine. Pour autant, si l’on envisage la recertification comme un moyen de contrôle ou de sanction, on aborderait le sujet de la mauvaise façon. Bien pensée et bien réalisée, la recertification doit être rassurante pour les médecins. Elle a vocation à les accompagner dans l’amélioration de leur pratique. Ils savent que leurs formations sont prises en compte, valorisées. Ca leur permet d’avoir un suivi de toutes les actions qui contribuent à les maintenir au meilleur de l’état de l’art (congrès, maîtrise de stage…). Alors, certes, il y aura des médecins obligés de suivre la procédure mais si celle-ci fonctionne bien, tout le monde aura envie de la suivre.

Bientôt de nouvelles mesures contre le burn-out des internes

​Le gouvernement va à nouveau se pencher sur la prévention des risques psychosociaux des étudiants en santé. « D’ici à la fin de l’année, nous allons présenter de nouvelles mesures après le rapport du Dr Donata Marra sur la qualité de vie des étudiants en santé, affirme Frédérique Vidal. Nous projetons par exemple de mettre en place des formations pour les coordonnateurs de DES afin de les sensibiliser à la problématique des risques psychosociaux. »

Le respect du temps de travail des internes (48 heures hebdomadaires) et du repos compensateur est aussi considéré comme un « sujet majeur ». « Ce qui me semble plus important encore, c’est d’éviter les abus, souligne la ministre de l’Enseignement supérieur. Le problème est de comprendre pourquoi certains hôpitaux usent et abusent des internes. Le fonctionnement des hôpitaux ne doit pas reposer sur toujours plus d’internes ou de temps de travail d’interne. »


Propos recueillis par Amandine Le Blanc et Christophe Gattuso

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