Caroline Chaumet (Passeur d'alertes) : « La médiatisation de la souffrance et du harcèlement »

Publié le 03/04/2018
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Crédit photo : DR

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Caroline Chaumet est la Présidente Fondatrice du site Passeur d’Alertes. De par son activité de production documentaire, elle s’est intéressée depuis quatre ans au parcours des lanceurs d’alerte, en particulier au moment où ceux-ci ne bénéficiaient pas encore d’une visibilité médiatique. Elle a souhaité aborder le sujet de l’alerte éthique et a imaginé produire un documentaire sur le sujet en collaboration avec Bernard Nicolas, un réalisateur de films d’investigation. Pendant deux ans, elle a rencontré de nombreux lanceurs d’alerte – dont des médecins. Elle a aussi fait le tour des différentes chaînes de télévision généralistes dans le but de trouver des moyens de production. Devant l’absence d’intérêt des diffuseurs et la force des témoignages de soignants déjà recueillis, Caroline Chaumet et Bernard Nicolas ont choisi de mettre en place le financement participatif d’un web documentaire sur la maltraitance institutionnelle à l’hôpital public à hauteur de 24 000 euros. Le Quotidien est allé à la rencontre de Caroline Chaumet à l’occasion de la première diffusion web du documentaire de 26 minutes intitulé « CHU de Grenoble : la fin de l’omerta ».

Le Quotidien : Pourquoi avez-vous choisi de réaliser un documentaire sur le malaise des soignants ?

Caroline CHAUMET : Parce qu’avant tout il existe un lien entre ce que vivent les soignants et ce que peuvent vivre les patients. Le risque de prise en charge insatisfaisante – d’un point de vue médical tout comme relationnel - est majoré si les équipes ne sont pas disponibles à leurs tâches, polluées par mille autres choses qu’elles ne devraient pas avoir à gérer. Je ne parle pas seulement des problèmes administratifs, mais aussi de tous les problèmes de harcèlement auxquels les soignants doivent faire face.

Pourquoi avoir choisi cette thématique de l’hôpital public ?

Il est temps que le grand public s’empare du sujet de l’hôpital public car nous sommes tous concernés. Il n’est plus possible de taire ce qu’il s’y passe.

La question du manque de temps auprès des patients des infirmières et des aides soignants était connue de longue date du grand public. Ce qui est très nouveau, c’est la médiatisation de la souffrance et du harcèlement au plus haut de la hiérarchie, des étudiants en médecine, aux médecins hospitaliers voire aux Professeurs d’université (PU-PH).

Après l’appel de Pr Grimaldi, la lettre des 1 000 médecins, désormais le sujet des problèmes humains à l’hôpital – qui restait un tabou de la communauté médicale – est rendu public. Et c’est une bonne chose, car comment peut-on imaginer que des étudiants maltraités deviendront des soignants bienveillants ? Est-il possible de laisser des soignants guidés dans leur choix de métier par une vocation d’aide à l’Autre devenir des personnes en souffrance qui partent travailler tous les matins avec la boule au ventre ? Comment le système hospitalier public pourra-t-il rester dans cette voie de la rentabilité à tout prix alors même que, depuis quelques années, il ne fonctionne que sur l’implication de soignants extrêmement compétents qui donnent leur temps à leurs patients et leur institution souvent aux dépens de leur famille ?

Racontez-nous la genèse du Web Documentaire CHU de Grenoble : la fin de l’omerta

En l’absence de financement par les chaînes de télévision généralistes et devant notre envie – notre besoin – d’aborder le sujet qui touche à la fois les soignants et les patients, nous nous sommes tournés vers la plateforme de financement participatif, Ulule.

En plus de financements directs de l’UFML syndicat, l’UFML Association et l’Association Jean Louis Mégnien, 333 contributeurs ont souhaité participer à notre projet.

La moitié des participants sont des soignants, ce qui nous a étonné. Nous avons été surpris – nous qui ne sommes pas du milieu médical – par les commentaires poignants laissés par les contributeurs soignants : ils nous demandaient avant tout de médiatiser la situation pour qu’elle cesse et qu’enfin toutes les professions médicales puissent exercer leur fonction avec une même finalité : la bonne prise en charge des patients.

Pourquoi avez-vous choisi de consacrer votre premier documentaire au CHU de Grenoble ?

Cet établissement a fait l’actualité récemment après le suicide d’un jeune neurochirurgien, la mise à l’écart de deux endocrino-pédiatres (dont les 260 patients n’ont toujours pas de médecins référents locaux à ce jour) et le rapport demandé au Médiateur National par la Ministre. Nous avions l’idée, au départ, de faire un sujet de 12 minutes dans cet hôpital. Mais devant la volonté de témoigner, en dépit de l’inquiétude générée par la prise de parole, nous avons choisi de transmettre les mots du plus grand nombre. Les médecins, de tous âges et de tout rang hiérarchique, ont accepté de témoigner à visage découvert. Ils ont pointé du doigt une administration et une hiérarchie médicale dysfonctionnantes qui broient des soignants qui ne demandent qu’à bien faire leur travail. Deux infirmières ont témoigné anonymement par peur des représailles.

Quelle suite souhaitez-vous donner à ce premier épisode ?

Nous ne souhaitons pas décliner le documentaire dans tous les établissements à problème. Ce que nous voulons c’est expliquer au grand public la situation générale – et les dysfonctionnements – de l’hôpital public. Nous avons aussi pour but d’exposer dans les épisodes suivants les solutions possibles qui pourraient permettre au plus grand nombre de bénéficier d’un système de santé unique, bien qu’en situation de fragilité.

Dr I.C.

Source : Le Quotidien du médecin: 9653