C’est ce qui s’appelle une action coup de poing. Plus de 300 praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) ont entamé, mercredi 5 mars, une grève de la faim pour une durée illimitée. Et ce, tout en restant en poste dans les hôpitaux où ils prêtent main-forte à leurs confrères dans un contexte de désertification médicale. Une action à l’initiative d’Ipadecc, association de défense des Padhue, mécontente des résultats des épreuves de vérification des connaissances (EVC) 2024. Le collectif n’a en effet pas digéré la suppression d’environ 20 % des postes initialement à pourvoir à l’issue du concours, laissant de nombreux praticiens dans une situation précaire et réduisant leur espoir d’être rapidement régularisés.
Je prends juste des boissons sucrées et porte mon brassard rouge qui fait réagir les patients
Dr Reda, Padhue dans le Var
Pour le Dr Reda*, 38 ans et chirurgien urologue diplômé en Algérie en 2018 et exerçant en France depuis 2022, il n’y avait plus d’autre choix que d’initier cette grève de la faim. « Cela fait des années qu’on a les mêmes prérogatives et responsabilités que les autres médecins. Et juste parce qu’on a des diplômes étrangers, on travaille dans des conditions précaires en enchaînant des CDD de six mois dans l’attente d’une régularisation qui semble inaccessible », se désole ce Padhue qui démarre, ce jeudi, une garde de 24 heures au centre hospitalier intercommunal de Fréjus-Saint-Raphaël tout en poursuivant son jeûne.
« Je prends juste des boissons sucrées et porte mon brassard rouge qui fait réagir les patients : quand je leur explique la raison de cette mobilisation, ils comprennent et me soutiennent », assure celui qui s’est fait recaler aux derniers EVC avec 13,5/20 de moyenne générale dans sa spécialité (de source syndicale, la note éliminatoire est à 14,25). « Le dernier reçu a eu 14,7 dans ma discipline alors qu’en réa, des candidats ont été lauréats avec 8,9/20. Cela n’a aucun sens », rage-t-il. Alors qu’il s’agissait de sa deuxième tentative au concours, ce praticien et père de famille perd espoir d’être un jour régularisé et de retrouver une stabilité financière pour subvenir à ses besoins et ceux de ses proches.
Opacité du système de régularisation
En Seine-et-Marne, le Dr Akal** participe à la grève de la faim pour « crier son désespoir ». Également recalé aux EVC pour sa deuxième tentative, il songe à rejoindre l’Allemagne où les conditions de régularisation semblent, d’après lui, plus souples qu’en France. Mais, à l’aube de la quarantaine, le père de famille aurait souhaité poser définitivement ses valises dans notre pays après un périlleux périple. Diplômé en anesthésie depuis dix ans en Irak, ce praticien a fui son pays d’origine, transitant par la Turquie avant de rejoindre la France en tant que réfugié politique en 2019.
Si j’étais mauvais, mon établissement ne m’aurait pas renouvelé autant de fois depuis quatre ans
Dr Ali, Padhue en Seine-et-Marne
Pourtant, le Dr Akal avait, sur le papier, plus de chances de réussir les EVC que d’autres Padhue. Car son statut de réfugié lui permet de passer ces épreuves sous forme d’examen, là où il s’agit d’un concours pour les autres. Il figure sur ce qu’on appelle la liste B, qui rassemble les réfugiés politiques, apatrides ou bénéficiaires de l’asile territorial, quand les autres Padhue sont répertoriés dans la liste A. Autrement dit, seule une moyenne générale de 10/20 est requise pour être lauréat et enchaîner sur le parcours de consolidation des compétences (PCC), l’ultime étape avant le passage en commission pour décrocher le graal : l’autorisation de plein exercice. « Même sur la liste B, il y a un quota qui est caché. On est beaucoup à échouer avec 9,7 ou 9,8/20, c’est louche », soupçonne celui qui dit avoir obtenu 9,99/20 de moyenne aux derniers EVC.
Depuis quatre ans, le Dr Akal exerce en tant que généraliste au sein d’un hôpital francilien, où les médecins sont rares. « C’est le CNG qui m’a dit de passer les EVC dans cette spécialité alors que j’étais anesthésiste-réanimateur dans mon pays d’origine », précise le praticien, qui a obtenu la nationalité française l’année dernière. Alors que son contrat actuel prend fin en août, ce dernier s’inquiète pour son avenir. « Est-ce que je vais être renouvelé dans mon établissement ? Je ne le sais pas encore, soupire-t-il. Mais ce qui est absurde, c’est que d’un côté, mon échec aux épreuves signifie que je ne suis pas compétent et, de l’autre, si j’étais mauvais, mon établissement ne m’aurait pas renouvelé autant de fois depuis quatre ans. »
La grève de la faim se poursuit ce week-end devant le ministère
Samedi 8 et dimanche 9 mars, les Drs Reda et Akal se rendront à Paris pour répondre à l’appel lancé par l’Ipadecc. Une centaine de Padhue, déjà bien essorés par la grève de la faim lancée trois jours plus tôt, devraient poursuivre leur jeûne devant le ministère de la Santé. « Nous serons rejoints par beaucoup de confrères et de sympathisants qui nous apportent ouvertement leur soutien », promet le Dr Akal.
L’association, qui sera également rejointe par le collectif SOS Padhue, compte faire pression sur la Direction générale de l’offre de soins (DGOS, ministère de la Santé), qui n’a pas répondu favorablement aux revendications exprimées par les médecins au cours de réunions de concertations sur la réforme des EVC, prévue dès cette année.
Pour rappel, l’Ipadecc plaide pour une régularisation sur dossier des Padhue qui exercent depuis plusieurs années en France et dont les compétences sont « reconnues » par les établissements qui les emploient. Une option loin d’être retenue par le ministère puisque la DGOS travaille à une refonte du concours en le scindant en deux, créant une voie interne pour les Padhue qui exercent déjà en France, et une voie externe pour ceux qui n’ont pas encore mis les pieds sur le territoire.
* Le médecin n’a pas souhaité donner entièrement son identité
**Le médecin a préféré requérir l’anonymat
Statut Pact : 31 200 euros brut de salaire par an
Est-ce un hasard ? En pleine contestation des Padhue, un arrêté sur la rémunération associée au nouveau statut de ces médecins est paru ce jeudi 6 mars au Journal officiel. Créé par la loi Valletoux de décembre 2023, le statut de praticien associé contractuel temporaire (Pact) ouvre droit à un salaire brut annuel de 31 204,37 euros par an pour un temps plein correspondant à 10 demi-journées hebdomadaires de travail.
Le statut Pact, qui « écrase » les statuts antérieurs des Padhue, accorde aussi la possibilité aux médecins diplômés hors Union européenne de percevoir la prime d’exercice territorial. Cette prime est ouverte aux praticiens qui acceptent des vacations d’une ou plusieurs demi-journées par semaine sur un site distant de plus de 20 km de leur hôpital d’origine. Le montant varie de 250 euros brut (une demi-journée) à 1 000 euros brut (plus de quatre demi-journées).
Le statut Pact autorise les Padhue à exercer de façon provisoire pendant une durée de treize mois (renouvelable une fois) contre l’engagement de passer le concours des EVC.
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