Burn-out

La mécanique du pire

Publié le 22/11/2018
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Crédit photo : BURGER/PHANIE

La question de la souffrance au travail est soulevée depuis une vingtaine d’années, mais la généralisation récente de l’usage du terme « burn-out » en affadit le sens et s’inscrit contre les intérêts de ses victimes. « Cette notion concernait initialement les métiers du soin, auxquels il faut la réserver, et parler plutôt d’épuisement pour les autres professions », insiste le Dr Marie Pezé, psychologue, expert près la cour d’appel de Versailles. Il ne s’agit pas d’une maladie, mais d’une psychopathologie liée à des violences collectives organisationnelles, avec des tableaux à la croisée de la médecine, de l’administratif, du droit et du management qui nécessite des connaissances multidisciplinaires. Il n’y a que dans notre pays que le travail n’est pas une donnée de santé publique et qu’on n’aborde presque jamais l’impact du travail sur les différentes pathologies.

Peu à peu, des organisations du travail mises en œuvre dans les entreprises privées ont envahi le système hospitalier, transformant la relation du soignant au patient en rapport de production, altérant les fondements même du métier de soignant, qui permettent d’en accepter les contraintes. L’hôpital est devenu une usine à soins.

Le travail en mode dégradé

Le terreau du burn-out à l’hôpital, ce n’est pas uniquement la fatigue, la surcharge de travail, c’est essentiellement le travail en mode dégradé. La multiplication à outrance des procédures noie les soignants sous des taches juridico-administratives, de traçabilité, de reporting, qui réduisent le temps à consacrer au soin. Même s’il est très professionnalisé, le soin est un engagement dont le sens se perd à force de formalisation, de séquençage et d’évaluation de l’activité professionnelle. « Les soignants travaillent sur le fil entre le mal-faire et l’illégalité, d’où des souffrances éthiques lorsqu’ils perçoivent les conséquences pour les patients de ces tableaux de bord et d’objectifs parfaitement bien remplis », explique la psychologue.

L’hôpital pâtit de la religion du chiffre issue des entreprises privées. Les dirigeants des hôpitaux, issus pour la plupart des grandes écoles, ne conçoivent la réalité qu’au travers de tableaux de chiffres, ignorant ce qui est l’essence même de l’hôpital : le travail avec les corps et les impressions sensorielles, avec sa part de subjectivité. Pourtant, si les soignants, dans une grève du zèle, se conformaient à ce que l’institution attend d’eux, ce serait rapidement le chaos !

Face à la souffrance au travail, on continue à opposer les mêmes stéréotypes, les mêmes solutions rigides, à rejeter sur la fragilité ou les motifs personnels les suicides de soignants.

Une mobilisation nécessaire

On a progressé dans la prise de conscience du burn-out, mais le système qui en est responsable s’est lui aggravé. Personne ne veut voir que le bien-être au travail est un enjeu essentiel, et que si les soignants s’y sentent mal, c’est la qualité des soins qui s’en ressent. Il faut arrêter d’attendre une action de l’État. La mobilisation du corps professionnel est nécessaire pour réfléchir aux solutions à apporter afin de démonter les mécanismes d’un système inadapté. « Il faut déconstruire l’ignorance », conclut le Dr Pezé.

 

Le soin est un engagement dont le sens se perd à force de formalisation, de séquençage et d’évaluation de l’activité professionnelle

Entretien avec le Dr Marie Pézé, psychologue, psychanalyste, expert près la cour d’appel de Versailles
Site Souffrance & travail : www.souffrance-et-travail.com

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : Bilan Spécialiste