Dr Bernard Granger (Association Jean-Louis Mégnien) : « L'organisation du travail hospitalier peut générer des difficultés psychiques et physiques »

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Publié le 24/10/2018
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BERNARD GRANGER

BERNARD GRANGER
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Le Quotidien : En deux ans, quels sont les points marquants que vous retenez dans la lutte contre la maltraitance des soignants à l’hôpital public ?

Pr Bernard Granger : Aujourd’hui, il n’y a plus d’omerta. Les soignants osent dire – avec des fortunes diverses – qu’ils ressentent des difficultés au sein de leur travail. Avec l’Association Jean-Louis Mégnien, ils ont trouvé des interlocuteurs qui peuvent les écouter, les conseiller, les aider. Chaque semaine, l’association reçoit de nouveaux dossiers de personnes en détresse. Bien que de nombreux médecins bénévoles aient rejoint l’Association, nous avons parfois du mal à être présents aussi rapidement que nous aimerions, mais nous sommes toujours à l’écoute face à des situations de détresse, pour éviter les passages à l’acte. D’autres associations d’aides aux soignants ont vu le jour ou se sont développées. Aujourd’hui, plus aucun médecin ne devrait se sentir isolé face à sa détresse, des solutions existent.

Des actions locales et nationales ont aussi favorisé la prise de conscience du mal-être de certains hospitaliers (conflits, maltraitance, harcèlement). Précédemment, les institutions avaient tendance à nier ou cacher les problèmes de ce type. Aujourd’hui, les établissements mettent en place des conciliateurs, des commissions de vie hospitalière, des plans ressources humaines qui ont pour but de trouver des issues à ces situations difficiles.

On a aussi assisté à une prise de conscience des pouvoirs publics avec la désignation d’un médiateur national dont les missions vont être précisées dans un proche avenir par un décret. Des médiations régionales devraient aussi être mises en place rapidement.

Si les personnes harcelées peuvent trouver plus facilement une écoute, elles se plaignent aussi du manque de sanctions vis-à-vis de leurs harceleurs. Qu’en est-il ?

Globalement, il faut le reconnaître, c’est souvent la personne harcelée qui est déplacée. C’est une bonne solution de changer d’environnement pour quelqu’un qui a souffert afin de l’aider à s’épanouir dans un autre lieu. Ce qui est regrettable, c’est le laxisme à l’égard de ceux qui ont été maltraitants. L’association insiste depuis sa création sur la nécessité de sanctionner ceux qui se sont mal conduits. Or, pour l’instant, c’est trop rare. On ne cherche pas les responsabilités et on ne sanctionne pas les responsables, ou alors indirectement. Les sanctions disciplinaires prévues dans les textes sont, pour l’instant, rarement appliquées. À mon avis, si on faisait quelques exemples et si une politique de tolérance zéro était promue, les choses changeraient. Quelqu’un qui a un sentiment d’impunité n’est pas freiné dans son comportement.

Ôter à un service un poste de praticien en permettant le départ d’une personne en souffrance est une sanction déguisée, indirecte, qui impacte sur la charge de travail de ceux qui restent et ne règle pas les questions de fond. Certains harceleurs l’ont bien compris : ils se sont sentis encouragés dans leurs méthodes et savent comment éloigner un confrère « indésirable » en toute impunité. C’est détestable. Il y a encore d’immenses progrès à accomplir. L’état de droit doit être respecté pour que les victimes ressentent moins d’injustices.

Alors qu’on assiste à une crise de la vocation hospitalière, promouvoir la bientraitance pourrait-il améliorer l’attractivité des carrières à l’hôpital ?

L’organisation du travail n’est pas un sujet nouveau à l’hôpital. Ces problèmes existent depuis longtemps : si on s’en réfère aux travaux de Christophe Dejours, cela fait plus de 20 ans que les évolutions du travail hospitalier et son organisation étaient repérées comme pouvant générer des difficultés psychiques et physiques.

Lutter contre la maltraitance au travail signifie aussi développer la bientraitance. Cela ne veut pas dire uniquement dans un sens négatif de lutte contre certaines habitudes, mais doit être pris au sens de la psychologie positive : expliquer ce qu’est la bonne communication, ce que peuvent être des organisations du travail favorables à l’épanouissement, en insistant sur les valeurs d’autonomie et de collectif de travail. De plus, quand le bien-être au travail est favorisé, la productivité s’améliore.

Aujourd’hui, l’attractivité de l’hôpital est moindre en partie du fait d’une démographie médicale déficitaire. Le climat de travail hospitalier joue un rôle, mais c’est aussi le cas de la rémunération, la bureaucratisation de l’hôpital, du stakhanovisme, du manque de temps pour accomplir son travail dans des conditions techniques et humaines satisfaisantes.

Dr. Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin: 9694