Les Troubles des conduites alimentaires (TCA), l’anorexie mentale en tête, continuent de faire des ravages plus particulièrement chez les jeunes femmes. Derrière le yoyo des kilos, se dissimulent de multiples troubles du comportement alimentaire et un grand mal-être psychique. Des pathologies potentiellement graves qui passent encore inaperçues plus d’une fois sur deux en soins primaires.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi tirez-vous la sonnette d’alarme en priorité sur l’anorexie mentale ?
Dr MOUNA HANACHI : Il s’agit du TCA le plus fréquent et le plus grave. La sévérité potentielle de la perte de poids, engendrant dénutritions et complications somatiques sévères, et la mortalité de l’anorexie mentale restent les plus élevées de tous les TCA. Il ne faut pas seulement y penser face à l’adolescente ultra-mince. Des femmes plus âgées et des hommes peuvent également en souffrir. La forme masculine serait même plus grave, et plus souvent associée à des comorbidités psychiatriques. Quoi qu’il en soit, la maigreur est un signe trop tardif. Dépister les malades plus tôt, au stade de trouble du comportement sans atteinte somatique, permet d’améliorer le pronostic. C’est pourquoi il faut sensibiliser les soignants à ces pathologies afin d’améliorer leur dépistage précoce. Dans la majorité des cas, le traitement des TCA relève de prise en charge ambulatoire et multidisciplinaire mais, lorsque la maigreur et la dénutrition extrême engendrent des atteintes d’organes, le pronostic vital est engagé. Notre unité de nutrition clinique de l’Hôpital Raymond Poincaré à Garches (AP-HP) reste actuellement la seule en France à s’occuper de patients avec des niveaux de dénutrition aussi prononcés à l’admission.
Ces séjours à l’hôpital pourraient-ils être plus courts ?
La prise de poids moyenne varie de 500 g à 1 kg par semaine. Elle s’avère parfois bien plus lente selon les complications somatiques, mais aussi des résistances psychiques qui rendent impossible un rétablissement plus rapide. L’augmentation des services d’aval nous permettrait de diminuer cette liste d’attente, qui peut dépasser trois semaines. Pourtant, il faut pouvoir accueillir ces patients souvent dans l’urgence, pour éviter la catastrophe. À un stade avancé, les patients peuvent perdre plus d’un kilo par semaine, et je vous laisse faire le calcul lorsque la liste d’attente dépasse les trois mois. Accueillir les patients plus tôt est notre seule chance de les faire partir plus vite. Pour fluidifier les parcours, évitons ces degrés de gravité, beaucoup plus longs à récupérer, en créant des lits et des structures d’aval.
Comment vous sont adressés ces patients ?
Compte tenu de la recrudescence de ces pathologies, il paraît raisonnable de multiplier désormais ces structures de prise en charge très spécialisées, mais aussi de mieux sensibiliser les médecins généralistes au repérage. La moitié des patients ne sont pas dépistés en soins primaires. Les patients arrivent souvent des services d’urgence avec des complications graves, une cytolyse hépatique ou une hypokaliémie avec troubles du rythme cardiaque, une hypoglycémie, un malaise… Lorsque l’on parvient à les prendre en charge, la dénutrition est déjà sévère, les patients ne tiennent plus debout. C’est l’entourage qui s’inquiète et les incite à consulter. À l’hôpital de Garches en région parisienne, nous recevons des patients de la France entière. Ils sont très nombreux à venir de Bretagne et du nord-est de la France. Nous sommes un service de recours, et accueillons des patients des quatre coins de France en situation d’échec de prise en charge dans leur unité de proximité. Il est temps de multiplier les formations et de poser les bases de l’organisation des filières de soins dédiées.
De quelles solutions disposez-vous en Ile-de-France ?
Nous rencontrons un immense obstacle à travers le manque de lits d’aval, pourtant moins coûteux pour la collectivité. C’est un vrai paradoxe en cette période de restriction budgétaire. Les patients restent plus longtemps que prévu par manque de lits. En Ile-de-France, seules deux structures publiques, à l’hôpital Sainte-Anne et à Paul-Brousse à Villejuif permettent de prendre en charge 20 patients chacune. Quelques rares structures privées participent à ces soins d’aval, mais les coûts à la charge des patients freinent l’accès à ces soins pourtant vitaux.
Ne faut-il pas changer de modèle ?
Cette pathologie impose la mise en place de structures de suivi et des moyens de prise en charge ambulatoire au long cours. Cela exige d’évoluer vers un modèle de prise en charge pluridisciplinaire et coordonné. Les TCA présentent une double problématique, psychiatrique et somatique, qui nécessite une coordination étroite des soins entre médecins psychiatres, nutritionnistes, parfois les réanimateurs, psychologues, diététiciens, mais aussi kinésithérapeutes, et infirmiers et aides-soignants sensibilisés et formés. L’enjeu aujourd’hui est de parvenir à coordonner l’ensemble de ces intervenants autour du patient et à tracer le plus tôt possible un parcours de soins compréhensible au sein duquel chaque intervenant trouve sa place.
Praticienne Hospitalière, MD, PhD Unité de Nutrition Clinique (Pr Jean-Claude Melchior), Hôpital Raymond Poincaré
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