En 2010, près de la moitié des 150 internes norvégiens interrogés (1) déclaraient continuer à travailler auprès des patients même lorsqu’ils présentaient des signes d’infections respiratoires. Parmi les étudiants les plus coutumiers à exercer en dépit de la maladie, les résidents de deuxième année étaient plus représentés, tout comme les femmes (56 % contre 48 % des hommes). Se sentaient-ils coupables d’avoir potentiellement transmis une infection à leurs patients à une époque où le port du masque était exceptionnel dans les établissements de soins ? Rarement puisque seuls 9 % des jeunes médecins interrogés imaginaient que cette situation était possible. Les raisons avancées pour ne pas s’arrêter de travailler était en majorité l’obligation morale vis-à-vis des patients et des confrères (56 %) et la peur de paraître faible aux yeux des autres soignants (en particulier pour les internes femmes).
Une analyse scandinave en 2012 (2) a permis de préciser les facteurs de risque de présentéisme chez les médecins malades : personnel en nombre insuffisant, absence de sécurité de l’emploi, manque de politiques locales visant à protéger les soignants et absence d’exemple montré par les confrères plus âgés.
Depuis ces études, les choses ont changé : le Covid est passé par là tout comme la crise des ressources humaines dans les hôpitaux. Une nouvelle génération a aussi émergé et avec elle de nouvelles préoccupations sur l’équilibre vie au travail/vie privée. Début 2023, le BMJ publiait un éditorial en quatre points - sorte de manifeste signé par la branche Practitioner Health du NHS britannique - pour éviter que les soignants qui se déclarent malades culpabilisent.
1/ Montrer l'exemple en matière d'autosoins
Comment éduquer la population si les médecins eux-mêmes ne prennent pas soin d’eux? Ils doivent montrer l’exemple et ne pas penser que s’absenter va décevoir les collègues ou les patients. Travailler en ne disposant pas de toutes ses capacités expose à des risques d’erreurs diagnostiques et thérapeutiques.
Le service de santé au travail du NHS précise : « n'oubliez pas que vous êtes remplaçable dans votre travail. Vous n'êtes pas remplaçable en tant que femme, mari, père, mère, fille, fils ou ami ».
2/ Se poser des questions simples
Parfois, la culpabilité est pire que la maladie elle-même, même si nous sommes très malades. Mais soigner un complexe de culpabilité plutôt que soi-même ne sert à rien.
Se poser des questions simples peut permettre d’avancer : à quoi cette culpabilité vous sert-elle ? Que diriez-vous à un patient dans la même situation ? Si vous connaissez un médecin qui est en arrêt maladie, pourquoi ne pas l'aider à se déculpabiliser et lui tendre la main ?
3/ Savoir quand prendre soin de soi
Il y a un risque pour vos patients et vos collègues si vous travaillez lorsque vous êtes contagieux. En outre, vous ne pouvez pas vous occuper de vos patients en toute sécurité lorsque votre capacité à réfléchir est altérée par l'épuisement, le stress ou une mauvaise santé. En prenant un congé maladie, vous faites ce qu'il faut pour vous-même, vos patients et vos collègues.
4/ Avoir la même compassion que pour les patients face à la maladie
La culpabilité vis-à-vis de vos collègues qui devront vous remplacer est souvent mise en avant. Elle s’accompagne du sentiment d'une baisse de la qualité des soins donnés aux patients dans ces conditions. Mais prendre soin de soi durant une courte période permet d’éviter des conséquences à long terme : risque de maladies chroniques, d’épuisement…
En tant que médecins, nous ne blâmons pas les patients d'être malades. Soyez compatissant autant pour vous que pour vos patients. Ensuite, rappelez-vous quand vous avez remplacé vos collègues, et n'oubliez pas que lorsque vous serez de nouveau en forme, vous continuerez à le faire. Les pressions exercées sur le personnel sont la responsabilité des dirigeants, pas la vôtre. Vous ne pouvez pas réparer un système défaillant en vous flagellant vous-même.
(1) Why hospital physicians attend work while ill? The spiralling effect of positive and negative factors. Giaever F, Lohmann-Lafrenz S, Tevik Lovseth L et al. BMC Health Services Research volume 16, Article number: 548 (2016) Why Physicians Work When Sick. Jean A, Meltzer D, Press V et coll.Arch Intern Med. 2012;172(14):1107-8. doi:10.1001/archinternmed.2012.1998
(2) How can I deal with guilt over being off work sick?BMJ 2023; 380 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.p109
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