LE QUOTIDIEN : Olivier Véran a ouvert lundi les concertations dans le cadre du « Ségur de la santé ». Réel espoir pour les hôpitaux ou coup de com' ?
GÉRARD VINCENT : Les deux à la fois ! La précipitation avec laquelle le gouvernement entame cette nouvelle séquence hospitalière révèle l'état de panique d'Emmanuel Macron, heureusement entouré d'un premier ministre solide et d'un ministre de la Santé courageux. Rouvrir la discussion avec les partenaires sociaux est surtout pour le président un moyen de gagner du temps, même si personne ne conteste la nécessaire amélioration du sort des soignants.
Le gouvernement projette de transférer 136 milliards d'euros de dette sociale à la CADES. La France a-t-elle les moyens d'augmenter les salaires des infirmières et des aides-soignantes au niveau européen ?
Il faut bien sûr faire un effort pour les soignants, mais des naïfs pensent que, dès que la crise sera passée, on rasera gratis alors qu'on va devoir au contraire serrer les boulons. Olivier Véran propose de réinjecter le demi-milliard d'euros dépensé tous les ans pour l'intérim médical. Il a raison mais c'est plutôt en desserrant les 35 heures qu'on aura moins besoin de ces praticiens. Le statut actuel est contraignant : pourquoi le salaire est-il uniforme ? Une infirmière en Province vit correctement, à Paris et en Île-de-France elle ne vit pas.
Précisément, le ministre de la Santé veut refondre le cadre d'organisation du temps de travail à l'hôpital. Le modèle des 35 heures est-il un facteur bloquant ?
Si vous voulez gagner plus d'argent, il faut accepter de travailler plus. En France, on travaille 35 heures par semaine à l'hôpital public — et même 32 heures à l'AP-HP. C'est le drame du statut public hospitalier : le temps de travail et les salaires sont les mêmes pour tout le monde alors que tous les soignants ne se mobilisent pas de la même manière. Certains personnels sortent épuisés des deux derniers mois de crise sanitaire alors que d'autres, qui ont travaillé dans des services vides, le sont sans doute moins. Mais on ne dit jamais ces choses-là. Heureusement que 90 % des salariés font très bien leur boulot : c'est grâce à eux que l'hôpital public s'en sort.
La réflexion est ouverte sur le cadre budgétaire de l'hôpital. Faut-il supprimer l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) ?
Avec un ONDAM plus réaliste et des gouvernements moins aveugles, on n'en serait probablement pas là. Mais l'ONDAM doit perdurer en l'état. Il ne faut pas non plus modifier le système de collecte de cotisations sociales et patronales car il faut bien des recettes pour alimenter le budget de la santé. Mais l'État doit le répartir entre les régions selon des critères déterminés : l'âge, la prévalence de certaines pathologies, etc. Les régions doivent devenir responsables du pilotage et de la régulation. C'est ce que font presque tous nos voisins européens. La France, non, car c'est un pays jacobin ultra-centralisé.
Faut-il complètement remettre à plat la tarification à l'activité (T2A) ?
La T2A a sauvé l'hôpital public, il ne faut surtout pas la supprimer. Si on avait maintenu le principe de budget global, il n'y aurait plus de chirurgie à l'hôpital. La T2A a donné un intérêt à agir. Le procès de la T2A, supposée source d'exploitation des médecins poussés par les directeurs à faire des choses inutiles pour générer de l'activité, est absurde. Je ne suis pas pour autant favorable au « tout T2A », qui est de toute façon déjà derrière nous. Les CHU sont par exemple financés à 50 % par les MIGAC.
Dans une tribune au « Monde », vous avez réclamé la transformation des hôpitaux publics en ESPIC (secteur privé à but non lucratif). Pourquoi ?
La grande différence porte sur le statut et la gouvernance. Dans les ESPIC, tous les salariés sont recrutés par contrat par le directeur, et ça change tout. Les praticiens râlent moins, se concentrent sur la médecine, la CME éclaire le directeur, qui est là et bien là. Les ESPIC sont un modèle de responsabilité et de liberté. Certains font de l'intéressement collectif, ce qu'envisage Olivier Véran pour l'hôpital public. C'est une bonne idée.
Sarkozy avait raison : l'hôpital a besoin d'un système plus souple calqué sur l'entreprise. Il faut arrêter de penser qu'en leur donnant davantage de pouvoirs, les directeurs se comporteront en petits dictateurs avec les médecins. En ESPIC, un directeur peut licencier un médecin mais peut être à son tour viré séance tenante en cas de mauvaise gestion ! À l'hôpital public, ça prendrait deux ou trois ans...
Cette rigidité écrase tout et décourage les médecins, qui ne gagnent pas forcément mieux leur vie en ESPIC mais qui y exercent leur talent dans de meilleures conditions. Le statut de l'hôpital public protège les râleurs et les mauvais éléments, qui gâchent l'ambiance, et incitent les bons à lever le pied, lassés de travailler plus à salaire équivalent. C'est comme ça qu'on laisse pourrir sur pied les hôpitaux publics.
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