Après le Défenseur des droits, l'Académie de médecine, et Santé publique France, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) joint sa parole aux voix qui réclament un accueil digne des migrants. « La France peut mieux faire », tance son président le Pr Jean-François Delfraissy. « Maintenir de mauvaises conditions d'accueil comme outils de refoulement est une instrumentalisation de la santé contre laquelle le CCNE s'insurge », a-t-il déclaré.
L'enjeu est de taille, mais il n'existe « aucune difficulté insurmontable dans une prise en charge honorable et digne des migrants », dit le CCNE. Les migrants représentent entre 0,3 et 0,6 % de notre population et ne sont en rien une menace sur l'organisation ou le financement du système de santé, répond le comité aux fantasmes de l'« invasion » ou de l'« appel d'air ». À l'échelle internationale, les 65 millions de déracinés se tournent davantage vers le Moyen-Orient (39 %), l'Afrique (29 %), et l'Asie (14 %) que l'Europe (6 %). Leur santé corporelle, malgré blessures et fatigue, est relativement bonne à leur arrivée, mais leurs conditions de vie en France contribuent à leur détérioration (gale, tuberculose, VIH…), et leur santé mentale est fragile. Les plus vulnérables sont les femmes et les mineurs isolés. Tous font passer ces préoccupations sanitaires à l'arrière-plan, trop occupés à se rendre invisibles par peur d'être reconduits aux frontières.
Ébauche d'une solution, l'accueil en centres d'accueil et d'orientation (CAO) a été satisfaisant, note le CCNE. Mais l'avant et l'après se sont révélés indignes (à Calais, Grande Synthe, Steenvoorde, ou sur les boulevards nord de Paris), et les pouvoirs publics se sont illustrés non seulement par leur indifférence, mais aussi leur volonté de rendre encore plus invisible cette immigration.
L'accueil est essentiellement assumé par les associations et les anonymes. Par exemple, c'est à l'initiative individuelle de soignants de la permanence d'accès aux soins de santé (PASS) de Calais qu'une antenne a été ouverte dans la jungle. L'avis salue aussi le travail de Gynécologie sans frontières à Calais qui a suivi des grossesses, satisfait des demandes d'IVG, et même ouvert un appartement pour les jeunes accouchées, sans financement direct public. « On droit de l'hommise la prise en charge or Il faudrait rapprocher le système de soins des migrants, pour que les associations soient supplétives, et non essentielles » résume l'un des rapporteurs, le magistrat Jean-Marie Delarue.
Refus de soins inadmissibles
Le CCNE se montre critique à l'égard de l'hôpital (en ce qu'il incarne le système de soins public), dont la mobilisation est insuffisante et inégale selon les territoires. Le comité rapporte et s'indigne (de ce) que des médecins ont pu refuser l'accueil des migrants, alléguant l'état d'asphyxie dans lequel se trouve leur service et le risque de générer des créances irrécouvrables. « Du temps où j'exerçais, l'idée qu'on puisse ne pas prendre en charge quelqu'un était totalement insupportable. Je n'ai jamais vu au cours de ma carrière un refus au motif de difficultés financières, or je crains que c'est en train d'apparaître », témoigne le second rapporteur et néphrologue Bertrand Weil. « On doit demeurer attentif à la tentation d'instaurer un circuit de prise en charge distinct des conditions de droit commun, ce qui représenterait une réelle discrimination, au motif allégué de ne pas perturber le fonctionnement des services » lit-on.
Le rôle des PASS, qui dépendent pour leur financement, des agences régionales de santé, est aussi fluctuant. « Certaines sont peu visibles » et dépréciée par l'administration de l'établissement, constate Bertrand Weil, réclamant une politique commune.
Équipes mobiles, AME simplifiée, interprètes
Le CCNE appelle l'hôpital à se mobiliser au sens littéral, à se rendre mobile pour toucher ces invisibles (comme la PASS de Calais l'a fait, ou les équipes mobiles psychiatrie précarité le font à Paris) ou à se coordonner avec les dispositifs de maraude. « Il appartient au système de soins de savoir inspirer confiance et d'appréhender les personnes qui font passer la nécessité de se dissimuler avant celle de se soigner », lit-on. Le défi concerne surtout l'accès aux spécialistes, comme les psychiatres.
Le comité préconise la simplification de l'aide médicale d'état et de ses conditions parfois hors de portée pour les migrants (comme la justification de plus de trois mois de domicile), qui ont pour conséquence d'accaparer le temps des assistants sociaux.
Il insiste sur l'importance des interprètes et des médiateurs culturels, pour permettre le colloque singulier entre médecin et patient, en particulier en psychiatrie, alors que leurs budgets sont trop souvent des variables d'ajustement.
Enfin, le CCNE conclut en rappelant l'exigence éthique de solidarité, fraternité et d'hospitalité. « La population française toute entière doit être loyalement informée et se sentir responsable du traitement fait aux personnes exilées », dont le flux ne devrait pas se tarir.
Padhue : Yannick Neuder promet de transformer les EVC en deux temps
À Niort, l’hôpital soigne aussi les maux de la planète
Embolie aux urgences psychiatriques : et maintenant, que fait-on ?
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne