L’arbre qui cache la forêt ?
C’est ainsi que le suicide du Pr Jean-Louis Mégnien, cardiologue à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), décédé le 17 décembre sur son lieu de travail, apparaît désormais, à la lecture des premières conclusions de l’une des deux enquêtes internes.
La commission d’enquête administrative sur les conflits à l’HEGP (AP-HP) a présenté une première note d’étape édifiante sur les dysfonctionnements et les conflits médicaux qui minent l’établissement depuis sa création, en 2001. Trois autres enquêtes se concentrent désormais sur le brutal décès du Pr Mégnien (commission d’analyse des suicides, enquête de police et enquête judiciaire pour harcèlement moral).
Arrangement inhabituel
Après avoir audité une vingtaine de médecins, soignants et cadres de l’HEGP, la commission (mandatée par le directoire de l’AP-HP) l’affirme sans détour : la disparition du Pr Mégnien est « révélatrice » de « dysfonctionnements » dans plusieurs procédures de nominations et de « difficultés d’ordre statutaire et organisationnel » au sein du centre de médecine préventive cardio-vasculaire où travaillait le praticien.
En 2012, ce dernier et deux de ses confrères décident d’y mettre en place une chefferie tournante. Cet « arrangement initial inhabituel » est une des sources du « grave conflit » entre les praticiens eux-mêmes, constate la commission, qui laisse à la justice le soin d’établir un éventuel lien de cause à effet entre des pratiques de harcèlement moral et le suicide du cardiologue.
Cette réalité conflictuelle soulève des questions statutaires (liées aux nominations hospitalo-universitaires) et de fonctionnement (absence de procédures adaptées au traitement des litiges). Si le chef de service est responsable de l’organisation et des soins dudit service, il n’est pas le supérieur hiérarchique d’un praticien hospitalier, qui agit en stricte indépendance professionnelle.
Plus précisément, la note lève le voile sur les rivalités claniques dans le microcosme des PU-PH et sur certaines guerres intestines pour la succession de chefs de service ou de département. Dans les services d’anesthésie-réanimation et d’orthopédie, des médecins se sont opposés « parfois violemment » à des candidatures extérieures, puis à la procédure d’appel à candidature décidée en 2012 par la direction et la commission médicale d’établissement (CME) locale.
La direction épargnée
Si les experts mandatés rapportent volontiers ces différends entre professionnels, ils refusent de pointer la responsabilité de la direction de l’HEGP. N’ayant constaté aucun « conflit de gouvernance », « abus de pouvoir » ou « crise de confiance », la commission « ne voit pas d’argument qui justifierait le remplacement de la directrice de l’HEGP et la dissolution de la commission médicale d’établissement (CME) locale récemment renouvelée », réclamés par certains médecins. Sous la plume du collectif des amis de Jean-Louis Mégnien, le Pr Bernard Granger, psychiatre à Cochin a dénoncé une enquête au « caractère partisan » et à la vision « partiale et incomplète ».
Ces premiers éléments d’enquête ont fait sortir Martin Hirsch de sa réserve. Le directeur général de l’AP-HP a regretté mardi des « comportements accusatoires faux » à l’encontre de la directrice générale de l’HEGP. « Cette note montre bien qu’on a aujourd’hui affaire à des tentatives de manipulations dont le but est de nuire à la direction générale et à l’hôpital, qui ne sont en rien responsables », assure aussi le Pr Philippe Juvin, chef de service des urgences de l’HEGP. Le médecin juge que l’ouverture « très oxygénante » des appels à candidatures à l’extérieur a brusqué quelques « conservatismes ».
80 signalements
En attendant le rapport définitif, la commission suggère au minimum de mettre en place un dispositif de prévention de la souffrance psychique – réforme que le nouveau président de la CME centrale de l’AP-HP, le Pr Noël Garabedian, appelle lui aussi de ses vœux. Depuis la création en 2012 de la sous-commission « vie hospitalière » de la CME de l’AP-HP (chargée des conditions de travail), quelque 80 médecins ont témoigné d’une forme de souffrance dans le cadre d’une restructuration ou de conflits de personnes dans l’un des 39 hôpitaux du premier CHU de France.
Lundi, Marisol Touraine a annoncé qu’elle saisirait l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) à l’issue du rapport définitif de la commission, attendu « d’ici un mois ».
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