Le moins qu'on puisse dire est que la vieille idée de créer une nouvelle profession de santé intermédiaire, à mi-chemin entre les médecins et les infirmières, n'a jamais emballé la profession, redoutant toujours le retour des officiers de santé de la Révolution française. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a quand même voulu faire tester l'hypothèse – évoquée lors du Ségur de la santé en juillet 2020 – par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport commandé, en mai, sur les protocoles de coopérations et la pratique infirmière avancée.
Dans le document, « Trajectoires pour de nouveaux partages de compétences entre professionnels de santé », mis en ligne ce mercredi, l'Igas répond sans ambiguïté par un plaidoyer en faveur des infirmières de pratique avancée (IPA) mais écarte en revanche l'idée d'une nouvelle profession de santé. « Après avoir échangé, avec les Ordres des infirmiers et des médecins, expertisé la faisabilité juridique d'une telle évolution et entendu l'ensemble des parties prenantes, la mission ne juge pas opportun de créer, dans le contexte actuel, une profession de santé intermédiaire ex nihilo » expliquent les auteurs. La messe est dite.
Meilleure rémunération des IPA et champ élargi
En réalité, selon eux, cette profession existe déjà et ce sont les IPA. La mission constate même que « de façon quasi unanime, les acteurs du système de santé considèrent d'ores et déjà les infirmiers en pratique avancée comme une profession de santé intermédiaire, alors même que leur positionnement dans le code de la santé publique ne leur reconnaît pas pour l'instant ce statut ». D'où une trentaine de préconisations pour accélérer leur déploiement.
Une partie concerne la valorisation nécessaire de leurs compétences : meilleure rémunération conventionnelle pour les libérales et création d'un régime indemnitaire spécifique à l'hôpital, assouplissement de leurs droits de prescription et adressage du médecin vers les IPA similaire à celui vers un confrère. L'accent est également mis sur la formation, en particulier en élaborant un plan de financement de la formation continue pour faciliter l'accès au diplôme d'IPA.
Protocoles de coopération
L'Igas aborde également la question du point du vue du médecin et suggère ainsi de rémunérer le temps de coordination du médecin libéral avec l'IPA ou encore de créer « une consultation médicale annuelle de synthèse pour les patients suivis par une IPA pour des pathologies chroniques stabilisées ». Et surtout, tirant les conséquences des premiers pas des IPA et des doutes d'une partie du corps médical, les auteurs du rapport insistent sur la nécessité de « cohérence » des différents dispositifs de partage de compétences.
Par exemple, ils invitent à « réinterroger la pertinence du protocole de la coopération dans les services d'urgences concomitamment à la montée en puissance de la diplomation des IPA urgences ». En effet, il peut être permis aujourd'hui à une infirmière d'accueil et d'orientation des urgences de prescrire un examen radiographique pour les patients présentant un traumatisme de membre simple, dans le cadre d'un protocole de coopération. Or, le cadre réglementaire de la pratique avancée en urgence, paru en octobre dernier, est lui beaucoup plus large. D'autres clarifications apparaissent nécessaires. Il faut notamment, selon l'Igas, enclencher, « dès que possible » les évolutions législatives et réglementaires pour intégrer les IADE dans la pratique avancée infirmière.
Des IPA praticiens
La mission opère également une distinction d'apparence technique (ou sémantique) mais qui pourrait emporter à terme des conséquences importantes : distinguer la notion d'infirmiers en pratique avancée spécialisés de celle d’infirmiers « praticiens » en pratique avancée. D'autant que, plus loin, l'Igas invite à permettre l'accès direct aux IPA en population générale dans les déserts médicaux voire de « définir une doctrine globale destinée à cadrer l'intervention, en exercice coordonné, de professionnels non médicaux en amont du médecin dans le parcours de soins ».
Autant de propositions aussitôt appuyées par le ministère de la Santé. Dans un communiqué ce mercredi, celui-ci souligne la distinction entre les IPA spécialisés (urgences, cancérologie,…) – essentiellement à l'hôpital – et les IPA praticiens. « Cette distinction a vocation à répondre à des champs de compétences et d’intervention différents, explicite-t-il. La création d’IPA praticiens permettrait à terme l’intervention de ces professionnels de santé en soins primaires et en population générale sur des pathologies courantes et bénignes pour améliorer l’offre de soins dans les territoires en libérant du temps médical ».
Vigilance
Côté médecins, la vigilance est de mise. Représentants des premiers concernés, le Conseil national professionnel (CNP) d'anesthésie-réanimation a adressé une lettre ouverte au ministre dès mercredi. « C’est bien le binôme IADE-médecin anesthésiste-réanimateur dans le cadre d’une délégation et non d’un transfert de tâche qui garantit la sécurité du patient, sous responsabilité médicale », écrit-il. Piqué au vif, le SNPHAR-e a réagi avant même la publication du document en termes critiques. « L’ensemble des conclusions du rapport tend à suggérer que le médecin n’a aucune valeur ajoutée dans la prise en charge de la santé de nos concitoyens, répondant ainsi à la volonté politique de démédicaliser la santé en France ».
Olivier Véran maintient le cap donné sur ce sujet par sa prédécesseure, Agnès Buzyn. « Nous devons nous appuyer davantage sur la pratique avancée dont on voit qu’elle n’est pas suffisamment montée en charge dans le cadre existant, et nous devons aller plus loin dans la reconnaissance des compétences, fait-il savoir. Ce sont les outils parmi les plus efficaces à court terme pour libérer le temps médical dont nous avons tant besoin. »
Pas certain cependant que ces assurances répondent à toutes les inquiétudes des médecins qui réprouvent le modèle des « General practice nurses » britanniques.
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