Dans la nuit du jeudi 31 janvier au vendredi 1er février, une jeune femme enceinte s’est présentée à la maternité de Cochin-Port Royal (AP-HP, Paris) avec un fœtus mort in utero à terme. Elle s’était déjà déplacée le mardi et le jeudi pour examen et déclenchement de l’accouchement. À chaque fois, l’opération est déprogrammée. Cette affaire a causé un émoi immense et conduit à un emballement médiatique, obligeant AP-HP, ministère et professionnels de santé à réagir.
• Y a-t-il eu des dysfonctionnements à Port Royal ?
Les avis divergent. Dans son témoignage au « Parisien », le compagnon de la patiente affirme que le jeudi, veille du drame, « il n’y avait plus de chambre disponible » à Port-Royal, plus grande maternité de Paris de type III (5 000 accouchements, 145 lits et places en gynécologie-obstétrique). Quelque 600 professionnels y travaillent dont une centaine de médecins et près de 60 sages-femmes.
Mais dès lundi soir, l’AP-HP communiquait ses premiers éléments d’enquête, réfutant la thèse de dysfonctionnements évidents. Selon l’établissement, « l’examen de l’organisation de la maternité de Port-Royal […] permet de dire que les effectifs soignants, médicaux et paramédicaux, étaient au complet et que la disponibilité des lits et des salles permettait de recevoir les urgences ». L’hôpital précise qu’il y a bien eu « examen médical » avant le refus de prendre en charge la patiente aux urgences. Ce qui pourrait expliquer pourquoi la patiente n’a pas été transférée dans une autre maternité, bien que Port-Royal n’en dise mot.
A ce stade, aucun élément n’accrédite l’hypothèse d’une guerre des chefs ou des services au sein de la maternité.
• Quelles suites à cette affaire ?
Le père du bébé décédé a rapidement porté plainte contre X pour « homicide involontaire par négligence ». L’emballement médiatique autour de ce fait divers ont poussé la ministre de la Santé à appeler dès dimanche à une « enquête exceptionnelle », administrative et médicale, pour « faire toute la lumière sur celle affaire », en parallèle à l’enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris le même jour.
Mireille Faugère, directrice générale de l’AP-HP, et le Pr Loïc Capron, président de la commission médicale d’établissement (CME) ont nommé le Pr Bruno Carbonne (qui siège au collège des gynécologues-obstétriciens de la CME) à la tête d’une mission composée de cinq autres professionnels de santé, médecins et sages-femmes.
Leur mission devra « approfondir » les premiers éléments d’enquête et « apporter des réponses précises aux interrogations sur la prise en charge médicale de la patiente et la situation détaillée en matière de capacités d’hospitalisation en gynécologie-obstétrique et en salles de naissance ». Enfin, ils devront « formuler les recommandations appropriées ». Afin de se protéger de la frénésie médiatique, les membres de la mission souhaitent travailler en toute discrétion. Leurs conclusions sont attendues début mars.
On ne sait si cette mission cherchera à éclaircir les circonstances d’un autre décès à Port-Royal, révélé le lendemain de l’ouverture de la triple enquête. L’avocate d’une jeune femme, dont le bébé est mort in utero en 2011 dans la même maternité, a annoncé le dépôt d’une nouvelle plainte pour « homicide involontaire ».
• Les décrets périnatalité en cause ?
Cet événement tragique a ravivé la polémique sur l’engorgement de certaines maternités et de la pertinence du système de classification à trois niveaux. Les décrets périnatalité de 1998 relatifs aux conditions techniques de fonctionnement des maternités ont distingué les établissements selon le niveau de prise en charge des nouveaux-nés, c’est-à-dire la présence ou non d’unités de néonatologie, de soins intensifs et de réanimation néonatale à l’hôpital. Sur les 535 maternités en 2010, 263 sont de type I (obstétrique uniquement), 212 de type II (obstétrique et néonatologie) et 60 de type III (avec, en sus, une unité de réanimation néonatale). En 1970, on en comptait 1 370.
Cette classification, qui s’est accompagnée d’un processus de concentration/restructuration des maternités, s’attire les foudres d’une partie de la communauté médicale, urgentistes en tête. « Les SAMU prennent de plus en plus en charge des accouchements inopinés parce que les centres où les femmes enceintes sont suivies ne peuvent pas les prendre en charge », déplore le Dr Patrick Pelloux (AMUF).
Le Dr Marc-Alain Rozan, président d’honneur du Syndicat national des gynécologues obstétriciens (Syngof) affirme qu’« avec leur niveau de soins élevé, les maternités de niveau III sont "envahies" par des accouchements simples qui n’ont rien à y faire. Pour des questions d’argent, aucun transfert n’est fait vers les autres maternités de niveaux I et II ».
Comme le médecin, l’Ordre des sages-femmes appelle aujourd’hui à « réévaluer » les décrets de 1998, jugés « insuffisants et obsolètes ». L’intersyndicale Avenir Hospitalier appelle de ses vœux « un état des lieux » des moyens de prise en charge des femmes enceintes et une « nouvelle campagne d’information sur la pertinence de leur orientation en fonction du déroulement de leur grossesse (maternité de niveau 1, 2 ou 3 ».
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