C’est un dialogue de sourds qui s’installe au fil des réunions entre le ministère de la Santé et les syndicats de praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). Depuis décembre, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) réunit les représentants de ces professionnels de santé et le Centre national de gestion (CNG), organisme chargé de l’organisation des divers concours médicaux. À l’ordre du jour : la réforme des épreuves de vérification des connaissances (EVC), un concours qui représente le seul moyen depuis 2024 pour les Padhue d’accéder à l’autorisation de plein exercice. Un nouveau cadre, un de plus après des années d’hésitation politique sur le sort à accorder à ces médecins essentiels dans les hôpitaux périphériques mais cantonnés à une forme de précarité administrative et financière.
Cette nouvelle concertation sur la réforme des EVC 2025 a tourné au vinaigre dès la première réunion et s’est encore envenimée lors de la seconde, fin février. En cause : les résultats de la session 2024 du concours, que ne comprennent pas les syndicats de Padhue. « De nombreux candidats ont obtenu des notes supérieures à la moyenne et ont été arbitrairement recalés en raison d’une suppression injustifiée de postes par le jury », grogne le Dr Abdelhalim Bensaidi, président par intérim de l’Ipadecc, association de Padhue très remontée contre le gouvernement, non seulement concernant les résultats de 2024 mais aussi à propos de la réforme des EVC pour 2025 telle que présentée par le ministère. Au point d’avoir menacé de faire une grève de la faim et de manifester ce samedi et ce dimanche à Paris.
Initialement, 4 000 postes étaient ouverts pour la session 2024, dont 3 749 réservés aux médecins. Mais près de 20 % des postes n’ont pas été pourvus. En médecine générale, où la note éliminatoire est de 12/20, le président par intérim de l’Ipadecc a été recalé avec 11,3 de moyenne. Or, dans cette spécialité, seuls 563 lauréats figurent sur la liste principale sur 826 postes à pourvoir. Aucune liste complémentaire n’ayant été établie dans cette spécialité – comme dans toutes celles qui n’ont pas fait le plein –, les 263 postes non pourvus ont de facto été supprimés.
Des notes éliminatoires variables
Autre incohérence des EVC pour les syndicats : les notes éliminatoires, fixées par les médecins qui font partie des jurys (un par spécialité) et qui varient sensiblement d’un concours à l’autre. « Un chirurgien viscéral s’est retrouvé sur le banc de touche avec 14,25/20 de moyenne » alors que le curseur est fixé à 15/20 et que les besoins sont là, se désole le Dr Kahina Hireche Ziani, porte-parole du collectif SOS Padhue. Si le principe d’un concours stipule que seuls les meilleurs parmi les meilleurs en sortent lauréats, il est cependant étonnant de constater, d’après les relevés réalisés par les syndicats, que le dernier reçu sur liste principale en médecine intensive et réanimation a obtenu 8,9/20 de moyenne là où le couperet est tombé à 12/20 en psychiatrie.
L’incompréhension parmi les médecins à diplôme étranger est telle que même des élus politiques se sont saisis du sujet. Dans un courrier adressé début février au ministre de la Santé, Yannick Neuder, avec copie à Emmanuel Macron et François Bayrou, la maire socialiste de Decize et vice-présidente du conseil départemental de la Nièvre, Justine Guyot, apporte son soutien aux Padhue et dénonce « une gestion opaque et arbitraire du concours ». L’édile pointe des « dysfonctionnements graves », considérant que « l’attribution de postes supplémentaires à certaines spécialités remet profondément en cause le principe d’égalité entre les candidats ».
À quoi bon se préparer aux épreuves si nous n’avons aucune garantie que ce qui a été décidé en amont du concours sera bel et bien appliqué ?
Dr Ayoub Mdhafar, Fédération des praticiens de santé
Concrètement, le ministère se garde la possibilité de repêcher certains Padhue par l’apport de listes complémentaires dans des spécialités où, pourtant, tous les postes sont pourvus. « De quel droit ajoutent-ils cette liste dans certaines spécialités alors que dans d’autres, il y a plus de 300 postes non pourvus ? » enrage le Dr Bensaidi. « À quoi bon se préparer aux épreuves si nous n’avons aucune garantie que ce qui a été décidé en amont du concours sera bel et bien appliqué en toute transparence ? », renchérit le Dr Ayoub Mdhafar, président de la Fédération des praticiens de santé (FPS).
Des examens à la carte
Qui plus est, les modalités de passage des derniers EVC n’ont pas été les mêmes selon que les Padhue étaient répertoriés dans la liste A ou la liste B. La première rassemble la majorité des candidats qui réalisent les épreuves dans les conditions d’un concours, alors que la deuxième réunit des réfugiés politiques, apatrides ou des bénéficiaires de l’asile territorial. Pour eux, les EVC ne sont qu’un examen, c’est-à-dire que « seule la moyenne est nécessaire », soit 10 sur 20, comme le rappelle le CNG sur son site internet.
Une nouvelle incohérence qui agace le président par intérim de l’Ipadecc : « Nous passons les mêmes épreuves, avec le même jury, la même grille de correction. Pourquoi les considérer différemment des autres Padhue qui tiennent les hôpitaux à bout de bras en France ? », s’émeut-il.
Polémique autour des postes « non validants »
Énième embûche dans le parcours administratif des Padhue : les lauréats des EVC se verraient attribuer des postes considérés comme « non validants » par les commissions qui délivrent une autorisation de plein exercice à l’issue du parcours de consolidation des compétences (PCC). De quoi parle-t-on ? À l’issue du concours, les lauréats doivent « justifier d'un parcours de consolidation de compétences dans leur spécialité » par un stage d’une durée variable selon les profils en hôpital, Espic (privé non lucratif), Ehpad ou centres de santé, indique la loi Valletoux de décembre 2023. Le ministère ou le CNG décide du lieu de stage. Or certains postes seraient attribués avec trop de légèreté dans une discipline différente de celle défendue aux EVC, au point que certains Padhue se voient sanctionnés à la fin du parcours pour un choix de stage qui n’est pas le leur. Et doivent tout recommencer.
« Le décalage chronique entre le nombre de postes validants et le nombre de lauréats s’accroît chaque année, au point qu’un tiers des postes proposés pour les EVC 2024 risquent de ne pas être validants », estiment la FPS, SOS Padhue et le Syndicat national des Padhue (Snpadhue) dans une lettre ouverte adressée le 21 février à Yannick Neuder et à la directrice générale de l’offre de soins, Marie Daudé.
Le Dr Sami Boufa, médecin syrien réfugié en France depuis vingt-quatre ans, a vécu ce scénario cauchemardesque. Celui qui avait été lauréat en 2008 en chirurgie orthopédique et traumatologique a par la suite exercé en tant qu’urgentiste, ce qui ne lui a pas permis d’obtenir une autorisation de plein exercice dans la spécialité pour laquelle il avait réussi les épreuves précédant la période de consolidation des compétences. À cela s’est ajoutée une galère administrative liée à son statut mis en extinction qui a conduit à son licenciement par l’hôpital de Nevers, où il a exercé pendant six ans. « On utilise les Padhue pour boucher les trous en les malmenant, c’est tout ! », résume le Dr Ayoub Mdhafar, président de la FPS.
La réforme des EVC, sur les rails pour la rentrée prochaine, permettra-t-elle d’éclaircir toutes ces zones d’ombre ? Le système de notification et, plus largement, l’ensemble du parcours permettant d’obtenir l’autorisation de plein exercice seront-ils, après concertation, simplifiés ? Dans quelle mesure les postes « non validants » sont une réalité ? Sollicités à plusieurs reprises par Le Quotidien, ni la DGOS, ni le CNG n’ont répondu à nos questions.
Ce que prévoit la réforme des EVC 2025
La DGOS (ministère de la Santé) propose de scinder le concours en deux, créant une voie interne pour les Padhue qui exercent déjà en France depuis quelques années et une voie externe pour les autres. Après deux réunions houleuses, le ministère ne semble pas disposé à céder à la pression des syndicats, qui réclament pour certains une régularisation uniquement sur dossier, pour d’autres de transformer ces épreuves en un simple examen.
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