Le 17 décembre 2015 à 16 heures le Pr Jean-Louis Mégnien, cardiologue réputé, se jette de la fenêtre du 6e étage de l'hôpital Georges Pompidou. Un de ses derniers mails sonne comme un appel au secours : « Je suis dans un placard ! ».
La communauté hospitalière s’émeut, une association est créée à l’initiative du Pr Halimi pour venir en aide aux praticiens victimes de harcèlement moral. On confie l’enquête à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Et l’on apprend le lundi 19 septembre que la publication du rapport tant attendu n’aura pas lieu.
Faut-il s’en étonner : non. l’IGAS ne peut pas, je dis bien « ne peut pas » révéler cette enquête au grand public. Pourquoi ? Réfléchissons ensemble : l’enquête sur ce drame se joue à deux niveaux, administratif et juridique. L’IGAS a en charge l’aspect administratif. Il s’agit pour l’IGAS de rechercher les manquements aux règles qui organisent les rapports des médecins entre eux. Or tout le problème est justement que ces règles n’existent pas.
Du principe d'autonomie
Ce qu’il faut absolument comprendre c’est que le principe d’autonomie ne concerne pas seulement les médecins du secteur libéral. Ce que j’appelle autonomie du praticien c’est la possibilité d’exercer sa profession sans aucune forme d’assujettissement. Or un chef de service ou de pôle n’a pas le pouvoir de « faire exécuter » une tâche ou une consigne. Les textes administratifs précisent en effet que leur pouvoir est fonctionnel, sans donner plus d’explication au sens qu’ils donnent à ce mot.
Donnons deux exemples concrets. Soit un praticien d’un service qui rédige un protocole de prise en charge d’une pathologie. Ce protocole, fruit d’une revue de la littérature, est validé par le chef de service et formalisé par le service qualité. Il n’est pourtant nullement contraignant et un ou plusieurs praticiens peuvent très bien considérer qu’il ne leur convient pas et ne pas l’appliquer. Autre situation régulièrement constatée, le report d’une liste entière de rendez-vous par les secrétaires, le praticien concerné étant absent pour une raison inconnue. Parfois ce sont des rendez-vous difficiles à repousser, comme les rendez-vous d’anesthésie. Dans ce cas de figure, il n’est pas possible au chef de pôle d’anesthésie de désigner un remplaçant.
La possibilité de faire exécuter n’existe qu’à l’égard des internes et des chefs de clinique. Mais dès que ceux-ci sont titularisés dans la fonction publique, ils bénéficient d’une grande autonomie. La situation du praticien hospitalier est tout à fait singulière. Son statut le préserve à un degré extrême de toute forme de contrôle. Le praticien hospitalier, après une période probatoire de 2 ans, est définitivement intégré dans la fonction publique. Il gravit ensuite les échelons correspondant à une grille de salaire, sans qu’à aucun moment cette progression ne soit conditionnée à son efficience. Le statut du praticien hospitalier est figé, il n’offre aucune disposition favorisant l’émulation entre les praticiens, aucune incitation à mieux faire, aucun système de récompense en fonction des services rendus. Dans un rapport de la commission des affaires sociale de l’Assemblée nationale de 2013, un jeune médecin témoigne : « J’ai eu mon concours de praticien hospitalier l’an dernier, le prochain bouleversement dans ma carrière sera ma retraite. »
Fleuve tranquille ou vertigineuse cascade
Faut-il voir, comme ce jeune praticien, dans ce statut la promesse d’une carrière se déroulant comme un long fleuve tranquille. Pour certains ce sera le cas, pour d’autres le long fleuve tranquille se transformera, comme ce fut le cas pour le Pr Mégnien, en une vertigineuse cascade. Parce que justement à partir du moment où il n’y a pas de règles qui organisent les rapports entre les praticiens, tout devient possible.
Ce que l’IGAS a rencontré au fil de son enquête, c’est l’homme, l’homme nu et il le dit dans son rapport : « les nombreuses lacunes relevées par la mission la conduisent à porter des critiques sur le comportement professionnel et personnel d’un grand nombre de personnes et à émettre à leurs propos des jugements de valeur dont la révélation publique serait de nature à leur porter préjudice ». Il ajoute encore que le document pourrait représenter une atteinte à la vie privée. Quand un groupe d’individus n’est pas solidement structuré par une hiérarchie fondée sur des valeurs, c’est l’espace privé qui prend le devant ou encore l’homme l’état de nature comme disent les philosophes. C’est alors que les passions se déchaînent, que les coalitions, les complots, les basses manœuvres mènent le jeu des rapports humains. Dans un article du 19 décembre 2015, Eric Favereau, journaliste à Libération écrit : « Dans le petit monde opaque des PU-PH, les problèmes et les conflits se règlent d’ordinaire en famille, laissant possible l’émergence de tous les dérapages. » Comment expliquer autrement le fait que le Dr Mégnien, qui avait tout de même le rang de professeur, se soit trouvé progressivement dépossédé de tous les moyens d’exercer son métier de médecin ?
Il y a sans doute plus à attendre de l’enquêté juridique. Mais le harcèlement moral est un concept juridique fort récent et encore fragile. Et la justice osera-t-elle s’attaquer à l’institution hospitalière et à révéler à l’opinion son état de délabrement moral ?
* Obstétricien (Pavillon Mères Femmes et Enfants, Le Havre), auteur en 2014 de « Dr House et moi, simple praticien hospitalier ».
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