« Les services des urgences saturent partout en France mais lorsque qu’on exerce en Guyane, c’est sans doute encore plus complexe ». Le Dr Crepin Kezza, chef des urgences du Centre hospitalier de l’Ouest guyanais, à Saint-Laurent du Maroni, depuis sept ans, aime les euphémismes.
Car derrière le terme « complexe », la réalité de son métier et celui de son équipe est âpre : déficit de médecins, difficulté à attirer des praticiens compte tenu des conditions de vie locales, manque de lits avec des patients qui restent dans les couloirs jusqu’à quatre jours, flux quotidien de 80 patients en moyenne, lourdeurs administratives pour soigner une population de migrants sans papiers… Sombre tableau qu’il tente de mettre en balance avec les « plus » : « ici, on est urgentiste dans le sens le plus complet de l’exercice de la médecine. Nous sommes hyper polyvalents et devons faire face à des situations et des pathologies que l’on ne voit plus en métropole. »
De fait, avec des chiffres élevés de la délinquance, les fléaux de l’orpaillage illégal dans la forêt amazonienne et du trafic de cocaïne vers la métropole, les violences conjugales, la précocité sexuelle... les médecins sont confrontés à des situations de soins peu communes : « Nous gérons régulièrement des cas de blessures par balles, de graves traumas, des maladies tropicales lourdes, des stades avancés du VIH… Sans oublier les « bouleteux », ces patients qui peuvent ingurgiter jusqu’à 70 capsules de cocaïne pour les faire passer en métropole et risquent de mourir si elles éclatent avant évacuation. Et tout cela, dans un contexte transfrontalier délicat mais vraiment intéressant. »
La pression démographique de Saint-Laurent, à l’image de toute la Guyane, est forte : en moyenne 2,4 % de croissance annuelle (jusqu’à 8% localement) et un taux de fécondité de 3,5 %. D’ici 2030, les projections estiment que Saint-Laurent, 44 000 habitants actuellement, sera la ville plus peuplée du territoire devant Cayenne (58 000 habitants). Le centre hospitalier couvrira alors les besoins sanitaires d’un bassin de 90 000 habitants.
C’est dire si le nouvel hôpital, dont l’ouverture est prévue courant septembre, et le 27 septembre pour les urgences, est attendue par le docteur Kezza et ses collègues. Les praticiens quitteront le vétuste et historique hôpital, vestige de l’ancienne activité pénitentiaire du camp de la transportation, pour 27 000 m2 flambants neufs, construits sur sept hectares. L’hôpital sera doté d’un budget de 104 millions d’euros, de quatre pôles (mère/enfant, santé mentale, médecine/chirurgie et médico technique) et de 800 salariés (dont 180 créations de postes).
Des services qui faisaient terriblement défaut jusque-là seront mis en place, comme un centre d’hémodialyse qui évitera aux malades d'aller jusqu’à Cayenne pour se soigner ou encore un centre de chimiothérapie, une unité de soins intensifs. Côté urgences, des filières d’accueil spécifiques pour la psychiatrie, la cardiologie, la pédiatrie et les AVC sont prévues.
Les promesses de ce nouvel hôpital fidéliseront-elles de nouveaux urgentistes ? Arrêteront-elles le turn-over des contractuels aux salaires doublés ? « Nous avons accepté depuis longtemps ici le principe des médecins mercenaires qui viennent pour des contrats courts et des confrères extra-communautaires, remarque le Dr Kazza. Mais ils sont de plus en plus nombreux à prolonger leurs missions, c’est bon signe ». L’art de l’euphémisme. Et de conclure en riant : « Ici, c’est vrai qu’il faut aimer la Guyane profonde et la forêt... Sinon, pour la mer bleue et les cocotiers, mieux vaut les Antilles ».
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