Dans son dernier livre (1), le responsable de la chaire Santé de Sciences Po examine les enjeux d’une incontournable réforme pour reconstruire le modèle français, miné par la crise et le défaut d’organisation.
LE QUOTIDIEN – La santé mobilise plus d’un dixième de la richesse nationale. Elle est partout – progrès médicaux, crises sanitaires, déserts, inégalités de santé, financement de la Sécu, bioéthique. Pourtant, regrettez-vous, elle est quasi-absente des débats électoraux et reste aux marges de la vie politique en France. Pourquoi ?
DIDIER TABUTEAU – Il y a plusieurs raisons. Pendant longtemps, jusqu’aux années 2000, lorsque le système était en expansion, il donnait l’impression de s’améliorer et n’était pas au cœur des préoccupations. Le sujet ne s’imposait pas.
Deuxième élément, déterminant, et très particulier à la France. Pour des raisons historiques, la santé n’a pas été un système construit par les autorités politiques. Le traumatisme de la création des officiers de santé à la Révolution et le long conflit d’un siècle [entre les docteurs et l’État] a conduit les pouvoirs publics à se retirer de la scène de la santé et à déléguer implicitement aux médecins la construction du système de santé en France. Il n’y a pas eu de Jules Ferry de la santé, pas d’administration de la santé au 19ème siècle. C’est donc un sujet neuf quand, à partir de 1960, l’État va intervenir sur le secteur de la santé. Aujourd’hui encore, le ministre de la Santé n’est pas perçu comme un poste-clé…
Qu’est ce qui pourrait convaincre un candidat à la présidentielle par exemple de s’approprier cette thématique et de proposer un nouveau projet construit de santé et d’assurance-maladie ?
Malheureusement, le plus probable c’est que la dégradation du système de santé, les difficultés d’accès aux soins, la situation financière de l’assurance-maladie obligatoire et les menaces de pénurie médicale transforment la santé en vrai problème politique. Il n’y aura plus le choix, ce sera un sujet de débat électoral !
Mais le plus rationnel serait d’engager maintenant le pays sur la voie d’un vrai investissement, y compris financier, sur les questions de santé en affirmant que c’est un secteur majeur de développement économique et de bien-être.
À vous lire, on a le sentiment que c’est la survie même du modèle solidaire « à la française » qui est menacée à court terme. Pourquoi ?
Le système de santé s’est longtemps développé dans le sens de l’universalité des droits et d’une amélioration globale. En expansion, le système marchait bien grâce à l’initiative des professionnels. Mais il fonctionne mal en période de régulation et sous pression économique. C’est l’efficience et l’organisation qui deviennent les éléments clé pour que la situation ne se dégrade pas. Or, ce n’est plus le cas.
Surtout, on est entré dans un schéma où, depuis une dizaine d’années, l’assurance-maladie obligatoire s’est contractée dans le domaine des soins courants. Pour l’immense majorité des gens, l’assurance-maladie a cédé du terrain face au financement direct par les ménages et les complémentaires. C’est une dérive très inégalitaire.
C’est donc à la fois la contrainte économique, le défaut d’organisation et l’individualisme des acteurs – médecins et patients – qui font que le système de santé est à ses limites. Les bases d’hier ne sont plus adaptées : par exemple, la prévention ne s’est pas développée en France, en raison notamment de la sacralisation du colloque singulier et d’une médecine individualiste.
Sur l’assurance-maladie, vous expliquez que le déremboursement insidieux des soins courants fait le lit de la privatisation…
Oui, on modifie le système petit à petit. Tout cela est caché par le taux global de remboursement, autour de 75%, qui masque des réalités très différentes. D’un côté l’hôpital et les maladies graves, très bien remboursés, de l’autre les soins courants désormais pris en charge à 50% seulement par le régime obligatoire. Par construction, des complémentaires en situation de concurrence seront plus inégalitaires que l’assurance-maladie. C’est pourquoi il faut redéfinir la place respective de l’assurance-maladie obligatoire et de l’assurance complémentaire, qui ne doit pas devenir l’élément essentiel du remboursement.
Dans l’hypothèse d’une réforme, faut-il conserver les piliers de la médecine libérale : liberté de prescription, d’installation, libre choix du médecin…
Des éléments doivent bouger. Je reste un ardent défenseur de la médecine libérale qui un bel avenir mais il faut modifier son organisation qui ne peut plus être celle du 19ème siècle. Cela signifie l’exercice collectif, le travail en réseau, des obligations de service public, des limites au conventionnement dans les zones surdotées, une convention spécifique pour les médecins à tarifs opposables et des associations au service public pour les autres praticiens. Les jeunes médecins sont prêts à ce nouveau contrat.
Vous plaidez pour un « Ségur de la santé » de plusieurs mois pour construire le projet santé du XXIème siècle et édifier une nouvelle démocratie sanitaire. Vous y croyez ?
Il faut régler les affaires urgentes (2014/2015), c’est prioritaire, mais engager aussi une négociation à long terme de reconstruction du système de santé avec tous les partenaires – associations de patients, partenaires sociaux, syndicats de médecins, caisses et complémentaires. Cela prendra des mois. On a vécu sur le système du 19ème siècle, il faut passer à un nouveau mode d’organisation. Quant à la stratégie nationale de santé, nous verrons bien. Je suis plein d’espoir…
(1) « Démocratie sanitaire, les nouveaux défis de la politique de santé » (Odile Jacob, septembre 2013 - 23,90 euros)
Les MSU, acteurs clés de l’encadrement des docteurs juniors
« L’accès au secteur 2 pour tous, meilleur moyen de préserver la convention », juge la nouvelle présidente de Jeunes Médecins
Jeu concours
Internes et jeunes généralistes, gagnez votre place pour le congrès CMGF 2025 et un abonnement au Quotidien !
« Non à une réforme bâclée » : grève des internes le 29 janvier contre la 4e année de médecine générale