Au choc du décès d'un interne fin février, succèdent la colère et l'incompréhension. Les syndicats d'internes (ISNAR-IMG, ISNI) dénoncent en effet l'apathie des pouvoirs publics à agir pour mettre un terme à ces drames. Trois autres suicides sont survenus depuis le début d'année. « Chaque année en France, entre dix et vingt internes en médecine mettent fin à leurs jours. (...) Une trentaine est décédée depuis 2018. Nous, jeunes médecins en cours de spécialisation, avons trois fois plus de risque de mourir par suicide que les Françaises et Français du même âge », dénonce l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI). Le sujet fait réagir sur les réseaux sociaux où les jeunes crient leur ras-le-bol.
J'appelle vivement @olivierveran, @VidalFrederique, @JeanCASTEX, @EmmanuelMacron, à réagir vite. Ne négligez plus les alertes. N'attendez plus d'autres morts. Servez vous de ce que vous avez déjà mis en place sans leur donner les moyens d'agir. Sauvez les futurs soignants. pic.twitter.com/GVnNszYwUM
— Litthérapeute (@Littherapeute) February 23, 2021
Les syndicats de jeunes ont pourtant multiplié les alertes. À l'automne, l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) et l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) ont publié un rapport avec une centaine de recommandations pour faire face à la croissance des risques psychosociaux. Le document est resté lettre morte.
« Rien n'est résolu »
Fin janvier, le Centre national d'appui (CNA), structure dédiée à la qualité de vie des étudiants en santé, avait aussi alerté les ministères, dans un courrier dont « Le Quotidien » a pris connaissance, sur la proportion « alarmante » des étudiants en santé en difficulté. Il pointait du doigt les « horaires incontrôlables », des « glissements des tâches en raison de la diminution des personnels d’appui (secrétariat…) », l'« abandon du compagnonnage du fait de la surcharge des seniors » ou encore des « stages dans des services en difficulté ». Pour toute réponse, les ministères se sont contentés de lister les initiatives prises ces deux dernières années, sans perspective d'avenir. « C'est choquant, ils ne disent pas ce qu'il compte faire, mais ce qu'ils ont fait, réagit Morgan Caillault, président de l'ISNAR-IMG. Rien n'est résolu. »
À Reims, la ville où l'interne a mis fin à ses jours, la faculté a proposé une cellule d'écoute temporaire, un goût de trop peu pour l'ISNI. « Autrement dit, pas grand-chose. Ce déni de réalité n’a que trop duré et doit s’arrêter », s'insurge le syndicat, accusant les doyens d'inertie sur les réseaux sociaux.
La conférence des doyens de médecine au moment où 77% des internes disent vouloir fuir l'hôpital public : harcèlement, temps de travail hebdomadaire dépassé de 23h (58h/semaines), exercice libéral de certains professeurs assuré par des internes, refus de l'évaluation des stages.. pic.twitter.com/zqdHPrRzeM
— Gaetan Casanova (@CasanovaGaetan) February 25, 2021
Contacté, le président de la Conférence des doyens, le Pr Patrice Diot, estime les propos de l'ISNI inappropriés. « Je regrette les amalgames qui ne servent pas la cause, cette tendance à chercher des coupables n'est pas une bonne voie », s'explique-t-il au « Quotidien ». La conférence « n'est pas tolérante envers le temps de travail non respecté », insiste-t-il, ajoutant être prêt à régler tous les dysfonctionnements. Les doyens ont annoncé, en janvier, l'arrivée d'un numéro vert géré par le Centre national d'appui (CNA). Il ne sera disponible que « d'ici à quelques jours ».
Des mesures concrètes
De son côté, l'ISNI a formulé une dizaine de mesures parmi lesquelles, la création d'une mission indépendante nommée par le directeur d’ARS et comprenant des représentants des internes après chaque suicide. Plus largement, le syndicat demande qu'une enquête soit menée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les risques psychosociaux à l'internat. Ils sont aussi favorables à la suppression du cumul des fonctions managériales et d’enseignement. « Un praticien ne peut pas être chef de service et coordonnateur d'un DES. Les décisions sur le parcours de l'interne doivent être prises avec les autres membres de l'équipe pour éviter qu'une seule personne ne décide de l'avenir du jeune », observe le président de l'ISNI, Gaétan Casanova.
Par ailleurs, en cas de suspicion de maltraitance ou de situation de danger grave dans un service, l'ISNI souhaite que des mesures conservatoires soient prises telles la fermeture du terrain de stage, la suspension des professionnels de santé en cause ou une extraction des internes rapidement, mesures encore trop rares. « Il y a une concentration de pouvoir à l'hôpital et personne à qui parler, même quand c'est anonyme les jeunes sont terrorisés qu'on leur brise leur carrière », ajoute Gaetan Casanova. L'ISNAR-IMG abonde en ce sens : « Il n'existe que des extractions en urgence, on pourrait réaffecter rapidement, comme ce qui a été fait lors du premier confinement », suggère son président Morgan Caillault.
Le temps de travail est un autre cheval de bataille. Les syndicats rappellent que les jeunes travaillent 58 h par semaine en moyenne contre les 48 h réglementaires. Les juniors réclament un décompte du temps de travail en heure et non en demi-journée ou de borner les demi-journées. Deux réunions de travail doivent se tenir début mars entre les réprésentants des internes et les cabinets des ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur.
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