« L'hôpital ne nous fait plus rêver, il nous rend insomniaque ».
La phrase du Pr Philippe Halimi, président de l'association nationale Jean-Louis Mégnien de lutte contre la maltraitance et le harcèlement au sein de l’hôpital public, résume la première journée scientifique de l'organisation, fondée en 2016 par des médecins à la suite du suicide d'un confrère cardiologue. Depuis sa création, l'association a recensé près de 450 témoignages de harcèlements sur tout le territoire. « Pour chaque signalement remonté, c'est cinq ou six autres qui ne se manifestent pas », indique le Pr Halimi, pour qui l'hôpital d'aujourd'hui est « déshumanisé ».
Ce mal-être touche toutes les catégories de personnels, du médecin à l'infirmière en passant par l'étudiant en santé. Chez ces derniers, les conséquences peuvent être dramatiques, pointe le Dr Valérie Auslender, médecin généraliste et experte du sujet. « Il y a des étudiants à qui on interdit d'aller aux toilettes, de manger, voire de s'asseoir, relate-t-elle. Ces maltraitances ont un impact direct sur leur santé physique et mentale, mais aussi sur leur stage et leur travail, cela mène à une perte d'empathie pour le patient, des erreurs de posologie… » La plupart de ces étudiants n'osent pas porter plainte de peur des représailles (non-validation de stage, de semestre ou de thèse). Le médecin prône donc la « tolérance zéro » pour les harceleurs.
Ne rien laisser passer, c'est justement la méthode du Pr Henry Coudane lorsqu'il était doyen de la faculté de Nancy, de 2008 à 2014. « Lors de mon mandat, j'ai imposé un étudiant comme vice-doyen, avec une adresse mail dédiée, pour permettre aux étudiants de faire remonter les problèmes et régler les conflits plus facilement », témoigne-t-il. Un exemple de l'utilité de la démarche : l'histoire atterrante de cette étudiante en chirurgie, forcée par le chef de clinique de venir en salle d'opération en… sous-vêtements, puis prise en photo, sous prétexte d'un protocole spécial pour infections nosocomiales. « J'ai convoqué le chef de service, puis le staff pour leur dire que ça n'était plus possible », indique le Pr Coudane. En substance, l'ancien doyen leur a réclamé de mettre de l'ordre dans leur service. Faute de quoi, adieu les renouvellements de postes de chef de clinique ou de PU-PH.
Ne pas relancer la guerre entre managers et médecins
Les étudiants ne sont pas les seuls concernés. Les médecins en poste sont parfois harcelés, mis sous pression ou au placard par un supérieur ou un manager. Pour régler ces conflits 100 % médicaux, le principe de médiation externe – très peu connu à l'hôpital, contrairement à la conciliation en interne – prend de l'ampleur. En poste depuis un an, le médiateur national Édouard Couty a sur son petit bureau du ministère de la Santé 54 dossiers, dont 49 concernent uniquement des médecins. D'ici la fin de l'année, des médiateurs régionaux seront déployés. La méthode commence à porter ses fruits, estime Édouard Couty, pour qui « l'omerta est en train de sombrer, on supporte moins de se taire quand on subit du harcèlement ».
Face à ces médecins en souffrance qui pointent du doigt la gouvernance des hôpitaux, et le parti pris – ou l'aveuglement – des présidents de commissions médicales d'établissement et des directeurs d'hôpital dans les dossiers de harcèlement ou de maltraitance, le conseiller honoraire à la Cour des comptes appelle à ne pas relancer la guerre entre managers et médecins, qui « fragilise le service public hospitalier ».
Un message d'apaisement qu'a également tenté de faire passer Didier Delmotte, ancien directeur du CHU de Lille. « Nous ne sommes pas là pour créer un climat négatif au sein de l'hôpital », assure-t-il. Pour lui, les directeurs ne détournent pas les yeux : dans le petit monde feutré des praticiens hospitaliers, ils peuvent tout simplement ne pas en avoir connaissance. « Mais quand on en a conscience, il y a une ardente obligation de traiter les problèmes à la racine », concède-t-il. Didier Delmotte a défendu la profession d'hommes et de femmes « qui se battent pour trouver de l'argent et du personnel », parfois abandonnés par leur propre hiérarchie et contraints eux aussi par l'obligation de certification des comptes, les procédures qualité, les demandes de patients, sans oublier la tarification à l'activité. Des arguments peu convaincants pour une partie de l'auditoire médical, confronté à des difficultés jugées autrement plus graves.
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