« TIRÉ AU SORT pour corriger une des questions des ECN blanches de ma faculté, je me suis rendu plein d’enthousiasme, heureux de mettre en pratique mes fonctions d’enseignant. On me remet une liasse de copies, l’énoncé de la question et son corrigé. Plusieurs de mes collègues planchent déjà avec une application silencieuse sur leurs copies. La question est illustrée d’une photo en noir et blanc. Je suppose que l’étudiant lui disposait d’une épreuve en couleur. Au premier abord, il s’agit d’un gros plan d’un champignon dont j’ignore le type. La question, sans ambiguïté, parle de lésion génitale. Je corrige donc immédiatement. Il s’agit de l’extrémité distale d’un sexe masculin, manifestement le siège d’une anomalie muqueuse que la qualité de la photo ne me permet pas d’identifier. On demande une description de la lésion à l’étudiant, la question est libellée 1 et vaut 5 points. La copie est notée sur 100.
Un gland est un gland.
Les correcteurs bénéficient heureusement de la correction de l’épreuve ; nous ne sommes pas tous vénéréologues… Nous sommes aidés par les fameux mots-clés. Il fallait répondre « érosions », « lésions en bouquets » et « gland ». Pratiquement personne n’a répondu « érosions » mais de nombreux synonymes étaient proposés. Le mot « en bouquets » n’a pratiquement jamais été utilisé… Paradoxalement, le mot « gland » a parfois été omis. Trop évident, probablement. Dès la première question, je me suis trouvé face au paradoxe du correcteur. Dois-je essayer de comprendre si la description de l’étudiant est conforme à la réalité et s’il est capable de faire un diagnostic et d’initier un traitement - ce qui est somme toute le cœur de son futur métier - ou dois-je me cantonner à la demande précise, incontournable du spécialiste auteur de la question et de la liste des fameux mots-clés ?
Si je suis indulgent, je risque de faire croire à l’étudiant qu’il a acquis les mécanismes lui permettant de passer le VRAI concours. Si je suis rigoureux, je cautionne ce mode d’évaluation des connaissances. Si le mot « gland » n’apparaissait pas dans la réponse, je me suis trouvé obligé de ne pas noter les synonymes parfois utilisés à l’évidence par pudeur. Mais je suis resté ferme : un gland est un gland !
Dois-je noter zéro le diagnostic correct ?
La deuxième question concernait le diagnostic évoqué et les moyens de s’assurer du diagnostic. Tous les étudiants possédaient la bonne réponse : récurrence d’herpès génital. La réponse était pratiquement dans l’énoncé de l’histoire clinique. Suivait une question sur les bonnes pratiques et en particulier la nécessité ou non d’un traitement immédiat. La plupart s’en sont sortis.
L’histoire ne s’arrête pas là. Notre patient virtuel revient pour un épisode d’écoulement urétral. La question suivante, notée sur 5 points, concerne le diagnostic évoqué. La bonne réponse est « urétrite avec écoulement ». Il est spécifié dans le corrigé que la réponse urétrite gonococcique vaut zéro ! Je dois avouer que sur cette question mon paradoxe du correcteur a connu un sommet. Dois-je noter zéro le diagnostic correct ? Je finis par comprendre en échangeant avec mon voisin (eh oui, les profs copient sur leur voisin quand ils sèchent !) qu’il s’agit probablement de sanctionner celui ou celle qui ferait l’impasse sur le diagnostic bactériologique et sur les possibles associations avec les infections à Chlamydiae. La question suivante concerne le diagnostic bactériologique, et le mot « PCR » qui vaut 5 points a toujours été utilisé ! Le mot-clé « gonocoque » est-il lui aussi noté 5 ?
Degrés de panique.
Puis, tout se complique. Le patient virtuel fait une septicémie à gonocoque avec arthrite du genou. Le mot « septicémie » compte 3 points. J’ai hésité longtemps pour savoir si le mot « gonococcémie » était acceptable ! Suit une question sur le traitement qui vaut 23 points, près d’un quart de la note ! J’ai relu le corrigé cinq fois et je suis revenu deux fois sur les copies pour vérifier que je n’avais pas oublié de-ci de-là un ou deux points sur la durée du traitement, sur la posologie, sur la voie d’administration.
J’ai parfois senti la panique de l’étudiant qui, face à la fragilité de ses connaissances, décidait d’hospitaliser son patient, soit en dermatologie (degré de panique faible), soit en rhumatologie (degré de panique moyen), soit en orthopédie (degré de panique fort), ou qui appelait l’anesthésiste de garde (degré de panique très élevé). Le bon vieux recours rassurant à la structure hospitalière. La description parfois pertinente du traitement de l’arthrite purulente avec « choc rotulien » ne rapportait aucun point !
La dernière question concernait l’éducation thérapeutique, petit quart d’heure de morale !
Un quart des étudiants imposait au pauvre malade virtuel un sévère sevrage alcoolotabagique qui évidemment ne comptait pour rien dans les mots-clés et donc la note. Mais bon, ça ne peut pas faire de mal. On sentait bien que ce patient, vu son histoire, devait bien boire un peu et sûrement fumer beaucoup.
La nécessité de rapports protégés n’a jamais été oubliée. J’étais rassuré sur l’avenir de nos étudiants.
Dans les mots-clés était notée la nécessité d’informer et de traiter l’épouse. Les étudiants plus pragmatiques ont tous noté la nécessité d’informer ou de traiter la ou les partenaires. J’ai senti là une réelle fracture générationnelle. J’ai considéré qu’il s’agissait d’une bonne réponse voire d’une meilleure que celle du corrigé, mais le correcteur n’a pas le loisir de surnoter.
Complice d’une méthode d’évaluation.
Cette expérience courte de correcteur me laisse amer. Je me sens complice d’une méthode d’évaluation, qui essaie péniblement d’introduire un peu d’intelligence dans un concours. Je suis de la génération des questions d’internat. J’ai vu naître les QCM puis les QROC puis les questions soi-disant rédactionnelles mais corrigées comme des QCM par mots-clés. Ni la rédaction ni la correction de ces questions ne laissent la moindre part à la réflexion ou à l’intelligence. Un philosophe, dans un petit ouvrage "Pourquoi des examens", paru dans les années 70, concluait son propos en affirmant que les examens étaient d’abord faits pour les enseignants. Je sais les efforts réalisés par les différentes commissions pédagogiques pour faire évoluer ces modalités d’évaluation. Il reste manifestement du chemin à parcourir. »
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