Sacrifiée par les politiques, boudée par les étudiants, la chirurgie en proie à une crise d’identité

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Publié le 29/07/2015
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Le chirurgien libéral est-il en voie de d’extinction ? Dans « Serons-nous soignés demain ? »*, le Dr Bernard Kron, ex-chirurgien de l’AP-HP, hospitalier et libéral, témoigne des lourdes menaces qui pèsent sur la chirurgie.

Dans un ouvrage didactique, le Dr Kron, prix Henri Mondor pour ses recherches, retrace l’histoire de la spécialité et expose sa vision inquiète de la chirurgie de demain. Il s’alarme de la place du chirurgien (notamment libéral) dans un système de soins « étouffé par l’administration » et portée ces dernières années sur l’avènement des nouvelles technologies. Un seul mot d’ordre : elle devra être à la fois polyvalente et hyperspécialisée.

Une spécialité délaissée

Les décisions gouvernementales ont profondément abîmé la profession, affirme-t-il, la menant à « une réelle crise d’identité ». Le chirurgien serait devenu « un chef d’entreprise », sacrifié par le monde politique et boudé par les étudiants. Le ministère de la Santé a ouvert près de 7 000 postes d’internes en 2014, 10 % de plus qu’en 2013. La médecine générale a bénéficié du plus fort « contingent » d’internes et des spécialités médicales comme la biologie médicale étaient en hausse d’effectifs. « Les spécialités chirurgicales, quant à elles, subissent une légère baisse de 2 % », commente le Dr Kron.

Les longues études, les charges professionnelles excessives et les responsabilités toujours plus « écrasantes » poussent les jeunes à délaisser cette spécialité. Pourtant, il y a quelques années, la chirurgie était synonyme d’excellence, réservée à une élite d’étudiants passionnés. Les étudiants étaient alors chirurgiens généralistes, viscéraux ou orthopédistes.

Corriger les défauts accumulés

La refonte de l’enseignement a entraîné la disparition du chirurgien généraliste (plus que 3 500 exercent en France), « au profit d’une douzaine de disciplines chirurgicales différentes », explique l’auteur, qui plaide pour réformer le cursus des études, proposant que tous « les chirurgiens orthopédistes, viscéraux, thoraciques, urologues, et vasculaires soient formés à la pratique des actes chirurgicaux d’urgence dans les disciplines frontières ». La formation ne colle plus à la maîtrise des nouvelles techniques qui évoluent rapidement et les spécialités imposées ne permettent pas de pratiquer la chirurgie d’urgence.

« Les collèges de spécialités prônent l’hyperspécialisation alors que la chirurgie n’a pas de frontière ». La création de « spécialités élargies » pourrait changer la donne. « Avec la pénurie actuelle et future, il ne sera pas possible d’exiger que dix chirurgiens différents assurent en même temps la garde pour couvrir les urgences », note-il dans son ouvrage.

Bernard Kron appelle ces jeunes confrères à s’interroger sur l’essence même du métier. Petit bémol : on aurait aimé une analyse plus approfondie de l’impact des nouvelles technologies. Robotique, télé-chirurgie et e-médecine sont en plein essor et sont déjà au service de la chirurgie mais quels impacts ont-ils sur la démarche médicale ? Comment s’adapter ? « Les opérations de demain pourront-elles se passer de chirurgien ? » L’auteur est persuadé, lui, que les machines ne pourront jamais remplacer l’expérience du médecin.

*« Chirurgie, chronique d’une mort programmée », l’Harmattan, 28 euros, 256 pages, juin 2015.

Source : lequotidiendumedecin.fr