Coluche était soucieux des pauvres ; on peut discuter de la qualité de son humour, pas forcément le plus subtil, mais c'était surtout un homme extraordinairement généreux qui, tout en décrivant, avec un sens psychologique affirmé, la société qui l'entourait, posait sur la vie un regard à la fois grave et ironique et dénonçait les travers de notre temps. Il a laissé une œuvre, « les Restaurants du cœur » qui, pratiquement, représente le dernier filet social pour les démunis. On ne peut se souvenir, de lui et de ce qu'il a fait, sans émotion et, de toute façon, à l'époque où le socialisme régnait sur la France, on ne voyait pas ce qu'il pouvait apporter de plus social que Mitterrand, sinon que, précisément, il était en train de prouver qu'il ne faut pas se prétendre préoccupé par la misère si on n'est pas capable de réduire les inégalités.
On ne peut pas en dire autant de Jean-Marie Bigard. Au risque de froisser ceux qui aiment cette sorte d'humour, il est tout d'abord d'une désolante grossièreté et il en a d'ailleurs fait sa marque de fabrique. Cela ne le gêne guère, car il a trouvé un public pour ses calembredaines. D'autres standing comedians lui ressemblent. Il me semble néanmoins qu'il les a tous dépassés par la prodondeur de sa vulgarité, par l'énormité délibérée de ses jugements, et par des réflexions où l'on sent poindre, sous le prétexte de l'indignation, la vrille de l'intolérance. En conséquence, il se rapproche davantage de Dieudonné que de Coluche.
Tout cela n'a pas empêché les médias de s'emparer de l'affaire, d'en faire tout un plat, de s'extasier sur sa signification métaphysique, au point que les Français s'y seraient vus, présidés en 2022 par M. Bigard, assorti à l'Élysée comme le gilet jaune au Panthéon. Le plus incroyable, c'est que le président en exercice, je parle d'Emmanuel Macron, a cru bon d'appeler M. Bigard au téléphone pour lui dire qu'il s'intéressait à sa démarche et qu'il était curieux de savoir quelles étaient les convictions prophétiques de ce (sinistre) amuseur public. On raconte même que l'Élysée ne trouvait pas le numéro de téléphone de M. Bigard et qu'il a dû faire appel aux bons soins de Patrick Sébastien, une autre sommité de la culture nationale.
C'est grave, docteur ?
Et là, si nous ne savons rien de cette conversation entre l'ancien et le futur présidents, nous avons eu droit à la plus suprenante et la plus historique des déclarations politiques. Vous voudrez bien m'en excuser, mais si je ne la publiais pas, vous ne pourriez me suivre : « C'est quand même extraordinaire. Je chie à la gueule de Macron et il m'appelle au téléphone ». Je vous demande pardon pour la reproduction de ce texte, mais je me contente de vous donner la mesure du personnage. Il faut savoir de quelle exquise délicatesse il est capable avant même de peser ses chances et d'évaluer son mérite.
Qu'il ait fait un fonds de commerce de son langage de palefrenier ne suffit pas à expliquer pourquoi il ne s'est pas plus simplement réjoui du petit triomphe que le chef de l'État lui a accordé. On ne devrait pas en être surpris. Le président aime les affrontements avec ses détracteurs et il lui arrive souvent de leur remonter les bretelles de même que la plupart d'entre eux sont décidés à ne se laisser nullement impressionner par lui et le traitent avec moins de respect que celui dû à n'importe quel interlocuteur. Je me souviens que Coluche n'a pas mis un terme à la carrière de Mitterrand, mais il est vrai qu'il est mort en 1986, deux ans avant la réélection du président socialiste. Toutefois, il ne menaçait pas autant la dignité du pays, ce dont ne saurait se targuer M. Bigard qui demeure le produit de son époque, et n'est pas moins dangereux pour l'équilibre de notre système politique qu'un Trump ou un Bolsonaro, celui-ci rivalisant avec Bigard dans l'obsession scatologique. Il est possible qu'il ait un colon irritable. C'est grave, docteur ? Une psychothérapie durerait en tout cas des années.