Courrier des lecteurs

Ecole : la vache providence aux mamelles vides

Publié le 24/10/2016
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Un déluge de lois aux objectifs pharaoniques nous inonde. Il en va ainsi de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.  Faute de ne pas parler l'énarcien courant, On a péniblement déchiffré le texte. Ce pauvre idiot, bête à manger du foin et à en faire, s'est demandé « combien ça coûte, à quoi et à qui ça sert? » toutes ces lois. Quel prosaïsme affligeant !  On se demande aussi quelle mouche vicelarde pique la grenouille étatique et infecte les marigots ministériels au point que le batracien se prend pour une énorme vache-providence ignorant que ses mamelles sont vides. Cette loi bien intentionnée, comme toutes les autres, prêche une laïcité ultra-démocrate, ne visant pas moins  « la réussite de tous les élèves ». Gare à celui qui se plante !

L'ampleur du fantasme législatif n'a d'égal que sa faiblesse conceptuelle. La géronte confusion entre égalité et équité a la vie dure, oblitérant les faits et les réalités de terrain. Les lois sont comme les trains qui en cachent un autre. Elles génèrent  des bouleversements d'organisation, des craintes et des affects prévisibles mais non mesurés, encore moins pris en compte. Effacée par le canevas technico-admistratif du législateur, la dimension humaine de la personne en bout de loi est occultée. 

Le quotidien des enseignants est pétri de confrontations aux complexités familiales et sociales, générationnelles et transculturelles. Il se heurte aux problématiques de la mixité, de la langue, et des usages, aux turbulences de « l'inclusion » pour tous. Il bataille avec les difficultés de la dysculture, il subit les effets des dysfonctionnements familiaux: maltraitances, carences, violences, etc.

Les codes familiaux divergent de plus en plus des codes sociaux, écartelant l'enfant dans des injonctions contradictoires. Le principe de « l'inclusion » inscrit les enfants avec des pathologies psychiques lourdes. L'équipement psychique est unique à chacun et sa distribution  tristement aléatoire et inégale.   

Quand on connaît le sens du terme d'inclusion qui signifiait autrefois l'emprisonnement, que médicalement c'est un corps étranger tératogène, ou encore une altération, un détritus dans la matière, on s'inquiète de ce que véhicule l'inconscient sociétal et la Loi.  

Le concept tend à faire de tout enfant en difficultés, un "handicapé". Cette colonisation handicapante,  clef de voûte de l'inclusion scolaire, se situe à l'opposé du soin. La prévention en pédo-psychiatrie tend à éviter la bascule dans le handicap en diagnostiquant et soignant le plus précocement possible.  Autre effet pervers, la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées, Ndlr) s'étouffe sous sa propre masse inflationniste. Toujours le même « on » se demande dans quel monde imaginaire, l'élite rêveuse concocte ses textes.  Circonstances aggravantes, « on » appartient à la génération engloutie sous le Progrès ( c'est quoi, au fait, le progrès?) et la post modernité, celle où les parents éduquaient, et où les enseignants … enseignaient.  Aujourd'hui, ils en saignent.

Le nombre d’élèves s'accroît, celui des médecins scolaires chute. Les missions des médecins scolaires s'élargissent, tout en devant se spécialiser pour répondre à la politique de promotion de la santé et d'inclusion scolaire. Leur nombre ne cesse de diminuer drastiquement. Un tiers de postes non pourvu. Tous les postes des élèves sont pourvus. Le nombre d'élèves en difficultés et leurs difficultés augmentent, miroir des discordances socio-familiales.  Lier le scolaire et le sanitaire n'est pas une mince affaire. 

La noble démocratie éducative de « la réussite pour tous » et sanitaire de « la santé pour tous » oublie que la réalisation des idéaux les plus beaux soient-ils exige des moyens, des moyens pour agir et des moyens pour former aux actions.  Allez, donne moi ta main, la cloche à sonner, l'école est finie,  vive l'école!

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Dr Isabelle Gautier, psychiatre, Paris 15e

Source : lequotidiendumedecin.fr