Oh ! Bien vrai ! Si j’avais un fils sur les bancs d’une de nos écoles de médecine, je ne lui conseillerais pas la lecture du livre merveilleux de M. Combes, « L’État actuel de la médecine et des médecins ». L’âme la mieux trempée, la plus sainte passion, le plus fougueux enthousiasme ne résisteraient pas devant ce tableau d’une profession pour laquelle le néophyte brûlait tout à l’heure d’une ardeur juvénile.
Une vie de douleurs, de privations, d’amertume et de souffrances
Détourner la jeunesse de la carrière, l’arracher violemment à ses illusions, lui montrer le chemin de Corinthe craquant de toutes parts sous les pieds de l’imprudent qui s’y aventure, lui présager une vie de douleurs, de privations, d’amertume et de souffrances pour lui, pour les siens, pour une épouse chérie, pour des enfants adorés, lui enlever brutalement un bandeau trompeur, lui hurler durant plus de 400 pages, sans trêve, sans merci : prends garde ! Tu t’engages dans une carrière sans issue ; tes travaux et tes avances seront perdus ; pour compléter ton infortune, tu verras souvent un rire moqueur accompagner sur les lèvres de quelque lourd et rapace industriel le qualificatif poignant de médecin sans malades. Que tu sois de la fabrication des médecins à 1 000 francs ou de celle des sous-médecins à 250 francs, sois convaincu que tu n’assisteras pas à une fabrication correspondante de malades ; la misère, la faim t’attendent comme elles ont frappé déjà tant de malheureux médecins. Ne te pourvois pas en ce sérail étrange dont Hippocrate est le prophète, et dont, sauf quelques pachas et quelques eunuques, les habitants sont assez mal nourris. Ne dis pas que la médecine est un sacerdoce ; ce mot est fruste, n’a plus cours que secondum ordinem Melchisedech, et doit être relégué au rancart, en compagnie de son compère le mot philanthropie. Après tout, qu’est-ce qu’un médecin, si ce n’est une de ces choses :
- un homme qui se laisse mener par des enfants ;
- un domestique sans gages ;
- un bœuf de Mardi gras enguirlandé et dévoré ;
- un moujik russe ;
- un ouvrier sans salaire ;
- un fabricant d’ingrats ;
- un paon qui se laisse plumer ;
- un âne savant.
Tel est le but qu’a poursuivi M. Combes avec un talent incontestable, avec une verve qui ne bronche pas un seul instant, mais aussi avec cette admirable lance qui servit à l’admirable Don Quichotte de la Manche à éventrer des moulins à vent.
Mais, me direz-vous, le chevalier banneret moderne a, sans doute, dans la poche de son pourpoint, un programme, un projet en vertu duquel toutes les iniquités qu’il signale vont disparaître comme par enchantement… ? Mais oui… Le projet flamboie sur son drapeau en lettres immenses : RÉFORME MÉDICALE. Il contient trente-quatre articles, dont je fais grâce à mes lecteurs. Il suffit d’en dégager, en distillant le tout, sa quintessence, laquelle quintessence donne à peu près la formule chimique de celle de l’organisation de nos anciennes Facultés. Seulement, dans le susdit projet, l’État devient, comme il doit l’être, le gardien et tuteur naturel de la santé publique ; il prend en main non seulement la direction des études, mais la distribution de tous les services médicaux ; à cette condition, cependant, qu’au lieu de dispenser selon son caprice des recommandations obséquieuses ou des préférences arbitraires, les récompenses ou l’avancement hiérarchique, toute progression honorifique ou rémunératrice est prononcée par les plus haut placés et, conséquemment, par les plus compétents de la profession.
Exit les pharmaciens !
L’État aussi entretient chez les médecins le niveau d’instruction si nécessaire au rôle considérable qu’ils doivent remplir. Plus de pharmaciens… Ils sont inutiles, nuisibles, et tout docteur devra savoir se servir du pilon et du mortier, surtout à notre époque de simplification extrême des manipulations pharmaceutiques. Le recrutement des candidats en médecine se fait par un mode très analogue à celui des polytechniciens ; ils sont choisis par concours, et pris parmi les bacheliers ès lettres déjà élèves d’une école de médecine. Ces candidats font deux années d’études dans chaque Faculté, en commençant par celle de Montpellier, où ils subissent un examen de sortie ; puis ils se rendent à Paris, la seule École capable de délivrer la licence ? Là, au bout de cinq ans, ils passent une thèse et sont reçus docteurs.
Le concours pour les services nosocomiaux est supprimé. Aussitôt après sa réception (art. 8), le docteur est adjoint à un médecin chargé d’un service d’hôpital ou autre. L’année suivante, il remplace le titulaire et reçoit lui-même un adjoint s’il est besoin. Au reste, les élèves admis par suite du concours à entrer dans les Facultés n’ont qu’à fournir un trousseau complet et à payer 1 000 francs par an pendant les cinq années d’études classiques. La sixième année, en entrant en fonction, ils reçoivent des appointements réglés d’après un tarif (art. 28), etc.
C’est égal… Le livre écrit par M. Combes est bien hilarant, bien original, et restera comme une curiosité bibliographique de notre époque. J’en parle d’après l’exemplaire appartenant à l’administration de « L'Union médicale » ; mais je ne manquerai pas de m’en procurer un chez l’éditeur Ad. Delahaye. Sa place est toute trouvée dans une bibliothèque lorsqu’on ne déteste pas trop les contrastes. Je glisserai « L’État actuel de la médecine et des médecins » entre la « Religion du médecin », de Thomas Browne, et « Le Devoir du médecin », de Grégory.
(Dr A. Chéreau in L'Union Médicale, 1870)
« L’accès au secteur 2 pour tous, meilleur moyen de préserver la convention », juge la nouvelle présidente de Jeunes Médecins
Jeu concours
Internes et jeunes généralistes, gagnez votre place pour le congrès CMGF 2025 et un abonnement au Quotidien !
« Non à une réforme bâclée » : grève des internes le 29 janvier contre la 4e année de médecine générale
Suspension de l’interne de Tours condamné pour agressions sexuelles : décision fin novembre