Lointains descendants d’Hippocrate, les généralistes européens remettent le Père de la Médecine au goût du jour. Depuis une dizaine d’années, le programme d’échanges Hippokrates permet en effet aux internes et généralistes juniors de partir découvrir l’exercice de leur profession à l’étranger. Mis en place par l’association Vasco de Gama, branche jeune de la Wonca, regroupement d’académies et collèges internationaux de médecine générale, il propose près de 25 destinations, des pays frontaliers à la Turquie, l’Islande ou encore la Serbie. En France, le programme n’en est qu’à ses débuts, le départ du premier Français remontant à la fin des années 2000. « Depuis, neuf autres sont partis et cinq sont sur le point de le faire », souligne Elodie Hernandez, coordinatrice pour la France, ajoutant que « le programme prend son essor depuis un ou deux ans ».
Après un premier contact à l’issue de ses ECN, en 2012, avec l’hôpital londonien Saint Thomas, Alisson Lachor a retrouvé la capitale britannique, fin janvier. Conquise par sa première expérience proposée par sa fac, l’université Lille II, la jeune femme avait « dès le début de l’internat prévu de repartir ». Et, plus précisément, dans un cabinet de groupe afin de découvrir la pratique de la médecine de ville outre-Manche. Renseignements pris sur Internet et auprès d’un syndicat étudiant, elle a monté son dossier. « ça a pris un an, Londres étant une destination très prisée », précise-t-elle. Une observation confirmée par Elodie Hernandez qui, pour les autres points de chute, conseille de s’y prendre 5 mois à l’avance.
[[asset:image:5986 {"mode":"small","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["\u00ab Ce stage permet de prendre du recul par rapport \u00e0 notre propre pratique \u00bb"]}]]
Grande-Bretagne et Espagne sont très courtisées
S’il existe des listes d’attente pour la Grande Bretagne, l’Espagne est également très appréciée. Lors de sa 2e année d’internat, Florent Herzog est ainsi parti à Madrid. Étudiant à Strasbourg, il a choisi de rencontrer ses homologues espagnols car « même si ce sont nos voisins, le système de santé est totalement différent ». Accueilli par le Dr Francesco, il a assisté à chacune de ses consultations ou visites, suivi les autres professionnels officiant dans le même centre de santé ou encore rencontré des étudiants en formation. « C’était assez varié, ça m’a permis d’être bien imprégné dans le fonctionnement », raconte celui qui a observé « de très grandes divergences dans l’organisation des soins et dans la relation avec le patient ». Même s’il n’a pas eu d’activité clinique, « c’est intéressant d’avoir ce type expérience pour s’ouvrir l’esprit par rapport au système français et réfléchir à ses changements », confie-t-il.
[[asset:image:5991 {"mode":"small","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["\u00ab J\u0027ai observ\u00e9 en Espagne de tr\u00e8s grandes divergences dans l\u0027organisation des soins et la relation avec le patient \u00bb"]}]]« Les participants ne sont pas là pour apprendre la médecine mais pour avoir une approche de la santé publique d’un autre pays », abonde le Dr Sophie Siegrist, installée près de Nancy. À ses yeux, la durée du programme – 15 jours – n’est pas trop courte. D’autant que ces deux semaines sont prises sur le temps de vacances des internes. Un critère qui n’a pas empêché Florent Herzog de repartir en Écosse. Ni Elsa Garros de découvrir le système américain pendant un mois, dans le cadre de Family medicine 360°, autre programme de Vasco de Gama à vocation mondiale. « Il faut imaginer cet échange comme un temps de formation personnelle », suggère Elodie Hernandez.
Rien à voir avec Erasmus
Le cadre court de ces échanges, mais aussi son intervention tardive à la charnière de la vie étudiante et de la vie active en font un dispositif assez différent du très connu Erasmus. Emblème des échanges universitaires européens, ce programme s’adresse aux étudiants en 2e cycle, essentiellement ceux effectuant leur 3e année et constitue alors, sur une période allant d’un semestre à une année, un premier contact avec la médecine de soins. « Erasmus ne concerne que des stages hospitaliers en tant qu’externe », précise Cyril Villaréal, parti lors de son internat dans un cabinet de Leadgate, commune en périphérie de Newcastle, dans le nord de l’Angleterre. S’il reconnaît qu’ « Erasmus propose de nombreux avantages (comme) une immersion prolongée dans le pays alors qu’Hippokrates ne dure que 2 semaines », il juge ces deux modèles complémentaires. « Hippokrates ajoute à la formation un versant santé publique, explique pour sa part Sophie Siegrist, mais ça permet aussi de découvrir de nouvelles techniques de prises en charge ». Elle a déjà reçu deux Espagnoles et un Portugais, « à chaque fois des étudiants en dixième année ».
[[asset:image:5996 {"mode":"small","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["\u00ab Erasmus et Hippokrates sont deux mod\u00e8les compl\u00e9mentaires \u00bb"]}]]Car le but premier d’Hippokrates vise à découvrir de nouveaux modes de fonctionnement. L’idée est de faire un pas de côté par rapport au système français et aux acquis universitaires pour enrichir sa propre pratique. Au sein du cabinet dirigé par le Dr Rajive Mitra, Alisson Lachor a ainsi pu observer, aux côtés des différents acteurs de santé, « la prise en charge des patients et l’organisation entre les médecins, qui s’occupent plutôt des affections aiguës, et les infirmières cliniciennes, chargées du suivi chronique ». « Ce stage permet de prendre du recul par rapport à notre propre pratique : « même si c’est un pays européen, les habitudes de prescription sont différentes », affirme-t-elle. En Angleterre, elle a notamment constaté, chez ses confrères, une écoute plus attentive des patients et une tendance à moins prescrire pour les « bobos du quotidien ». « Là-bas, un rhume, c’est juste sous paracétamol », résume celle qui s’interroge désormais davantage au moment de rédiger ses ordonnances.
Découvrir une façon différente d’exercer
Tout comme leurs homologues européens, les hôtes français mettent un point d’honneur à montrer le système de soins dans sa globalité. Et Sophie Siegrist ne manque pas d’ambition pour les étudiants qu’elle reçoit au Ban Saint Martin. « Ils viennent en consultations, en cours, à l’ARS », raconte cette maître de conférence à la faculté intéressée par la prise en charge des personnes âgées. « Je leur montre aussi comment se passe la PDS, l’HAD, on visite les urgences, détaille-t-elle, on est un peu ambassadeur de notre médecine. » à Banyuls, le Dr Pierre Frances a fait participer en 4 ans une quinzaine d’étudiants à ses activités. Visites à domicile, consultations en cabinet, permanence médicale auprès de SDF… « Des journées très longues car c’est un médecin très investi », sourit encore Cecilia Contreras ! Aux yeux de cette généraliste espagnole, « l’immersion donne des expériences riches car elle permet de voir une autre façon de découvrir et gérer la maladie ». « Ici, le médecin accomplit des tâches plus complexes, il s’engage au-delà de la médecine, c’est un peu aussi une assistante sociale, un psychologue, décrypte-t-elle. En Espagne, c’est beaucoup plus protocolisé ».
[[asset:image:6011 {"mode":"small","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["\u00ab J\u0027ai toujours eu envie d\u0027exercer \u00e0 l\u0027\u00e9tranger \u00bb"]}]]Celia Ponce de Leon est également passée par le cabinet du Dr Frances, en février dernier. « J’ai appris à connaître le système sanitaire et l’exercice libéral qui sont très différents du modèle espagnol où tout est géré par le gouvernement. » Liberté d’organisation de la journée, rapidité des examens complémentaires, liberté de choix des patients, durée des consultations… Autant de découvertes pour la Barcelonaise habituée aux colloques singuliers d’une dizaine de minutes dans un pays où il n’est pas rare d’attendre plusieurs mois pour une IRM.
Des expériences concluantes
L’enrichissement personnel, maître mot du programme, joue autant pour les visiteurs que pour leurs hôtes. « C’était une expérience profitable pour tous les deux », atteste Dr Christophe Droin qui a reçu, en février dernier, Catarina Carvalho, interne portugaise. Présente en continu aux côtés du généraliste installé depuis plus de 30 ans à Marlhes, près de Saint-Étienne, elle a assisté aux consultations dans le cabinet, aux visites à domicile, à la maison de retraite du village. « En théorie, elle avait un rôle d’observateur mais, en pratique, on discutait, elle me donnait son avis », indique le médecin, enthousiasmé par cette rencontre avec « une personne intéressée par la médecine qui, lorsque la technique de prise en charge ne correspondait pas à ses habitudes, prenait des photos ». Et lui, au fil de discussions sur le système de santé, la culture et la vie au Portugal, a « découvert un pays sans y avoir mis les pieds ! ». Une première expérience Hippokrates si concluante qu’il « recommande à (ses) confrères de devenir hôtes ».
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« Cela ouvre des perspectives », reconnaît le Dr Matthieu Schuers, et permet d’avoir une vision sur la façon dont la médecine générale est enseignée dans d’autres pays européens ». Un point particulièrement positif pour ce généraliste qui enseigne à la fac de Rouen. « C’est également une bonne chose pour les étudiants français car la formation est très hospitalo-centrée. ça leur permet non seulement d’aller à l’étranger mais également d’être dans un cabinet, de voir une prise en charge, d’autres patients ». Avec ses deux confrères exerçant en maison de santé à Neufchâtel-en Bray, il a reçu deux étudiants, une Espagnole et un Italien. Si l’interaction était plutôt limitée avec la première qui ne parlait pas français, « c’était plus intéressant pédagogiquement avec le second », ce dernier maîtrisant notre langue.
La langue n’est pas une barrière
Quoi qu’il en soit, d’aucuns l’assurent, la langue n’est pas une barrière. Enfin, presque… « Les gens qui ont vraiment envie de partir doivent le faire , encourage Florent Herzog, il faut juste pouvoir communiquer en anglais avec son maître de stage. » Pour Alisson Lachor, il convient d’avoir des notions de la langue du pays d’accueil. Elle qui admet avoir une certaine aptitude en anglais mais ne pas parler la langue couramment se reconnaît un manque de vocabulaire médical. « Mais ça se surmonte, balaie la jeune Lilloise. La difficulté tenait plutôt aux différents accents, mais les Anglais ont l’habitude d’avoir des étrangers, ils savent s’adapter ». Après avoir hésité entre la Pologne et le Royaume-Uni, Hassna Errami est allée, à l’automne 2011, en Turquie ! « Avant de partir, j’ai pris quelques cours de turc pour pouvoir comprendre les patients », convient cette généraliste marseillaise.
Parmi les 13 praticiens hôtes, la question linguistique ne semble pas non plus poser problème. « La première étudiante que j’ai reçue parlait français alors que je voulais pratiquer l’anglais », s’amuse encore Pierre Frances. Selon ses estimations, 70 % des étudiants qu’il a reçus se débrouillaient en français et tous parlaient au moins anglais ou espagnol. « Les patients sont très fiers de voir des médecins reconnus internationalement, raconte malicieusement Sophie Siegrist. Les consultations se font beaucoup en anglais, mais ce n’est pas un frein car les patients sont plutôt flattés d’être pris en charge par ces jeunes. » « Et certains patients, originaires du Portugal, ont même pu parler avec l’interne portugais ! »
Parfois, l’expérience se prolonge sous d’autres formes. Deux installations à proximité de son cabinet et un article présenté lors d’un congrès international. C’est ainsi que pourrait se résumer l’expérience Hippokrates de Pierre Frances. «?J’ai toujours eu envie d’exercer à l’étranger même si je ne suis pas venue avec l’intention de m’installer, soutient Celia Ponce de Leon, mais cette expérience en France m’a décidée. » Le temps d’obtenir les papiers nécessaires pour faire reconnaître son diplôme espagnol obtenu en mai, la jeune femme devrait poser ses bagages du côté de Banyuls dans 6 mois, tout comme Cecilia Contreras qui compte s’installer près de Perpignan. Une décision mûrement réfléchie qui n’empêchera pas toutefois Celia Ponce de Leon de retourner un jour outre-Pyrénées. «?C’est en exerçant qu’on voit les points plus obscurs de la pratique », croit-elle savoir. Partie « juste en stage », Hassma Errami va, elle, s’installer en Turquie, convaincue par son expérience que le modèle turc n’est pas si différent du système français.
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