LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous décrire votre cadre d’exercice ?
VICTORIA L’HOURRE : Je suis docteure junior en première année au CHU de Brest, je fais de la chirurgie orthopédique et de la traumatologie. Je me spécialise plutôt en chirurgie du membre inférieur : la hanche, le genou, le pied, avec une prédilection pour la chirurgie prothétique de la hanche et du genou.
Dr ANA PRESEDO : Je travaille pour ma part à l’hôpital pédiatrique Robert-Debré, à Paris, en neuro-orthopédie. Je m’occupe également dans cet établissement du traitement du pied bot.
Comment avez-vous choisi la médecine en général, et la chirurgie orthopédique en particulier ?
V. L’H. : Personne dans ma famille n’est dans le domaine médical mais j’ai toujours voulu être chirurgien orthopédiste. Je ne sais pas exactement d’où cela vient, probablement d’un reportage vu à la télévision. J’ai toujours eu envie de faire quelque chose de mes mains, et c’est une envie qui ne m’a pas lâchée au fil des stages et des rencontres pendant mes études de médecine, à Rennes, ainsi que pendant les semestres d’études que j’ai pu effectuer à l’étranger, en Pologne ou au Canada. J’ai passé l’internat en 2020, nous sommes la promo Covid. La question de la spécialité ne se posait pas. J’aurais voulu rester à Rennes mais mon classement ne me le permettait pas. Voulant demeurer en Bretagne, j’ai choisi de faire mon internat à Brest. J’avais entendu beaucoup de choses positives sur ce service et mes stages n’ont fait que confirmer cette impression. J’ai passé ma thèse récemment. Pour ma deuxième année de docteure junior, j’irai à l’hôpital de Saint-Malo.
Dr A. P. : Je viens de Galice, en Espagne. J’ai toujours voulu être médecin. Je me vois encore, âgée de 5 ou 6 ans, avec ma mère, chez le pédiatre : je voulais déjà faire ce qu’il faisait. J’ai fait mes études de médecine à Saint-Jacques-de-Compostelle et il était clair pour moi que je ferais de la chirurgie. J’ai toujours été très manuelle, j’aimais bricoler… J’ai pu hésiter entre l’orthopédie et le viscéral mais, un jour, quand j’étais étudiante, j’étais de garde et j’ai entendu des bruits étranges dans une salle. J’ai demandé ce que c’était, on m’a répondu avec un peu de dédain que c’étaient les chirurgiens orthopédiques. Bien sûr, je suis entrée dans la salle, et j’ai adoré ce que j’ai vu. J’ai également choisi de m’orienter vers la pédiatrie, probablement à cause de mon pédiatre ! J’ai fait mon internat à Barcelone, puis j’ai fait un clinicat à Montpellier, un double fellowship aux États-Unis, pour finalement m’établir à Paris !
On n’a pas le même type de geste, non seulement en fonction des zones mais aussi des catégories de patients
Victoria L’Hourre
La chirurgie orthopédique semble une spécialité particulièrement vaste, est-ce pour vous l’un de ses attraits ?
V. L’H. : Effectivement, nous avons les membres inférieurs, les membres supérieurs, le rachis et, au sein de chacun de ces domaines, nous avons des surspécialités immenses. Même deux personnes qui ont une activité sur le genou, par exemple, peuvent avoir des techniques chirurgicales diamétralement opposées. J’ai des patients plutôt âgés, Ana a des enfants, certains s’occupent plutôt des sportifs, nous pouvons avoir toutes les catégories socioprofessionnelles… On n’aura pas le même type de geste, non seulement en fonction des zones mais aussi des catégories de patients.
Dr A. P. : La chirurgie orthopédique est effectivement probablement l’une des chirurgies les plus vastes. Je rejoins cette idée selon laquelle sur une même pathologie, dans la même région anatomique, on peut utiliser des techniques très différentes pour résoudre le même problème. Personnellement, c’est ce qui m’a amenée à explorer par moi-même, après mon internat, d’autres façons de voir les choses, et donc à voyager.
Toutes les spécialités traînent des clichés, et l’orthopédie a la réputation d’être une spécialité très physique, voire brutale, qu’en est-il ?
V. L’H. : Il est vrai que cela peut être physique mais je ne dirais pas que c’est brutal. Je comprends toutefois que c’est l’image que les patients peuvent avoir, notamment quand ils entendent les bruits, c’est vrai que cela peut paraître impressionnant. Mais nos gestes, loin d’être brutaux, sont au contraire très précis. Quant au côté physique, il est vrai qu’on mouille le maillot, et qu’on transpire parfois quand on sort du bloc ! Mais avec le temps, c’est une habitude qu’on prend, et on développe des astuces pour ne pas avoir à être les « Monsieur Muscle » que l’on s’imagine parfois que nous sommes.
La féminisation est une tendance importante en orthopédie
Dr Ana Presedo
Dr A. P. : Ce côté physique a longtemps fait que la chirurgie orthopédique était surtout pratiquée par des hommes. Mais aujourd'hui, cela s’équilibre beaucoup. Et même si nous utilisons des outils qui peuvent s’apparenter à ceux qu’on utilise à la maison pour bricoler, nous pratiquons au contraire une chirurgie très fine. Je dirais que nous sommes comme des sculpteurs : l’os est une matière dure, on change sa morphologie. Il faut certes un peu de force physique mais je trouve que voir les choses en termes de sculpture dédramatise un peu le geste !
Comment envisagez-vous l’avenir de la spécialité ?
V. L’H. : L’un des premiers points me semble être la féminisation : celle-ci est en cours et cela change l’image de la spécialité. Par ailleurs, nous aurons évidemment de nouvelles technologies, avec la robotique qui va prendre une place prépondérante. Aujourd'hui, chacun cherche à avoir son robot, pas toujours pour de bonnes raisons d’ailleurs. Nous n’en avons pas à Brest et je suis contente d’apprendre à maîtriser les gestes par moi-même. J’aurai tout le temps d’étoffer ma façon de pratiquer à l’avenir avec les robots. Enfin, je pense qu’il faut se rendre compte que nous pourrons avoir à l’avenir des points d’interrogation sur la possibilité de réaliser certains gestes, d’obtenir certains matériels, soit en raison du coût qui peut devenir trop élevé pour être remboursé, soit en raison des problèmes géopolitiques qui peuvent compliquer l’approvisionnement. C’est à mon sens un questionnement important pour notre avenir.
Dr A. P. : Je pense, comme Victoria, que la féminisation est une tendance importante en orthopédie, comme dans la médecine en général. La robotisation va nous amener beaucoup plus de précision dans la mise en place d’une prothèse, par exemple, avec un meilleur résultat fonctionnel, et plus de sécurité pour le patient dans les cas où le risque neurologique est important, comme pour la chirurgie du rachis. Mais Victoria a également raison de souligner le coût de plus en plus élevé du matériel que nous utilisons. Nous vivons une époque charnière, qui exige beaucoup de rentabilité dans la pratique de la médecine, et je pense qu’on va avoir une tendance à malheureusement faire de plus en plus de choses dans le privé. J’ai peur d’un retentissement sur l’offre de soins, et d’un système qui va probablement devenir de moins en moins équitable.
Que conseilleriez-vous à un jeune étudiant qui hésiterait à choisir la chirurgie orthopédique ?
V. L’H. : Je lui conseillerais de choisir cette spécialité. Je suis ravie de mon choix et je suis extrêmement heureuse dans mon métier. Mais je le préviendrais que ce n’est pas un parcours simple, qu’il faut être prêt à beaucoup de concessions. Quand on a 24 ans, on voit une certaine beauté à choisir un internat difficile, cela fait du bien à notre ego, mais il faut savoir que les horaires peuvent être importants, que certains stages peuvent être compliqués, qu’il y a une certaine tendance à souligner ce qu’on fait moins bien, et à ne pas mettre en avant ce qu’on fait bien. Cela vaut le coup de s’accrocher, mais c’est un choix de vie, je ne compte plus le nombre de soirées ou de week-ends entre amis que j’ai loupés. Je ne le regrette pas, notamment parce qu’on sait que si les choses sont difficiles pendant l’internat, il est ensuite possible d’avoir une bonne qualité de vie, avec plusieurs modes d’exercice à la sortie. Il y a énormément de chemins possibles.
Dr A. P. : Je dirais la même chose, et je le dis d’ailleurs déjà aux externes : ce n’est pas une spécialité facile, et de manière générale, en chirurgie, on a tendance à avoir des horaires élargis par rapport aux autres spécialités. Quand on est au bloc, on ne peut pas décider qu’on aura terminé à 18 heures. Parfois ce sera le cas, parfois non. C’est imprévisible, cela peut empiéter sur la vie privée, la vie familiale, mais à côté de cela je mets toujours en avant la beauté de la spécialité, son étendue très vaste qui permet toujours de choisir de travailler en clinique plutôt qu’en milieu hospitalo-universitaire, de choisir des voies qui ouvrent plus tard la possibilité de ne pas être amené à prendre un nombre de gardes excessif. Donc on ne va pas louper tous les dîners, et si c’est parfois le cas, on sait qu’on fait quelque chose qu’on aime : on sait pourquoi on se lève le matin !
Ana Presedo
1984 : Études médicales à Saint-Jacques-de-Compostelle
1992 : Internat en chirurgie pédiatrique et orthopédie à Barcelone
1997 : Chef de clinique à Montpellier en orthopédie
2001 : Fellowship en neuro-orthopédie à Wilmington (États-Unis)
Depuis 2003 : PH à l’hôpital Robert-Debré
Victoria L’Hourre
2013 : Études de médecine à Rennes
2020 : Internat de chirurgie orthopédique à Brest
Depuis 2022 : Responsable communication du Collège des jeunes orthopédistes
2024 : Docteure junior en orthopédie à Brest
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