Bien qu'il soit difficile de savoir comment la scène s'est déroulée, il semble bien que la manière dont M. Odoul a interpellé la mère de famille a été plutôt brutale, même, si par la suite il a affirmé qu'il ne regrettait rien. On peut être opposé au port du voile, mais le dire d'une façon civile et responsable. Deux ou trois ténors du RN, dont Nicolas Bay, se sont d'ailleurs gardé de voler au secours de M. Odoul, considéré par M. Bay comme « un jeune élu régional », maladroit, qui aurait prononcé des « propos mal venus ». L'intéressé se défend en affirmant que les membres de gauche du conseil régional ont vociféré, et lui ont lancé des injures, ce qui aurait, en fait, provoqué le scandale. Sans doute la dame n'a-t-elle pas compris que tous les partis sont représentés au sein d'un conseil régional et qu'elle risquait de rencontrer des élus totalement hostiles au port du voile.
L'affaire a fait assez de bruit pour que l'institut de sondages Ifop publie lundi une enquête selon laquelle deux Français sur trois se prononcent contre le port du voile lors des sorties scolaires. Soixante-neuf pour cent des personnes interrogées pensent que la Fédération des parents d'élèves (FCPE), qui publie une affiche favorable au voile dans le cadre de prochaines élections, jouent la carte du communautarisme. De leur côté, trois membres du gouvernement, dont Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, ont plutôt soutenu la jeune femme tout en se prononçant contre le port du voile dans certaines circonstances. Le débat, pour le moment, reste donc limité aux sorties scolaires, ce qui, pourtant n'était pas le cas vendredi dernier puisqu'il s'agissait de la réunion d'une assemblée institutionnelle.
Le port du voile est légal
Le port du voile est légal en France. Il est interdit dans les enceintes officielles mais pas dans la rue. Ce qui explique la mansuétude des ministres à l'égard de la jeune femme. Comme on demande toujours aux Français de se mettre à la place des minorités, il n'est pas interdit de demander aux minorités de se mettre à la place de la majorité. Beaucoup de personnes peu suspectes de racisme ou d'intolérance religieuse réagissent en fonction du contexte d'insécurité que l'attentat de la préfecture de police de Paris, qui a fait quatre morts, a encore aggravé.
Bien entendu, il est absurde de créer un lien imaginaire entre le port du voile et une éventuelle agression mortelle, mais le voile n'est ni une coquetterie ni un effet de mode. Dans l'esprit de celles qui le portent ou qui se sentent forcées de le porter, il représente un défi. Il s'agit, pour un certain nombre de musulmanes, d'affirmer leur identité sur la place publique, de dire qu'elles sont différentes et détentrices d'une exclusivité. C'est du communautarisme pur sucre. Et, même s'il faut éviter à tout prix l'amalgame, le port du voile et la réaffirmation d'une identité représentent un chemin possible pour le passage à l'acte.
Le Sénat s'apprête à prendre l'affaire en mains pour légiférer sur le port du voile dans les sorties scolaires. Il devrait se montrer plus audacieux et interdire carrément le port du voile. On n'a pas besoin d'appartenir au RN pour exprimer ce point de vue. Des quantités d'intellectuels de droite et de gauche sont hostiles au voile et le font savoir avec une foule d'arguments à l'appui. En faire un atout identitaire, c'est se poser en tant que réfractaire au système républicain. Il est d'ailleurs surprenant qu'à ce jour, peu de leaders musulmans dénoncent régulièrement les attentats ; quand ils le font, ce n'est pas par compassion pour les victimes ou au nom de l'horreur que leur inspirent les assassins, mais parce que les crimes jettent l'opprobre sur les musulmans de France. Ils ont raison de souligner ce danger. Mais ce n'est pas en multipliant les comportements communautaires que le problème sera réglé. Les religions s'entendront d'autant mieux qu'elles s'appliqueront les règles de la démocratie parlementaire.