La crise, le chaos déclenché par les gilets jaunes, puis par les grèves et les manifestations, ont conduit ceux qui ne manifestent pas à la consternation. On n'a pas manqué d'évoquer les coups sévères portés ainsi à l'économie et ce n'était pas pour opposer la plainte des restaurateurs à celle des protestataires. Les petites et moyennes entreprises sont durement affectées par l'accroissement exponentiel de la haine. Mais, si l'on en croit le sondage de Kantar, l'image de la France n'a pas été ternie par le lent affaiblissement causé dû aux grévistes. Ils ont accueilli l'argument relatif aux dégâts qu'ils ont joyeusement provoqués par des haussements d'épaules ; ils diront bientôt qu'ils n'ont guère ébréché notre croissance. En effet, si leur mouvement contient quelque chose d'irréductible, les investisseurs étrangers considèrent qu'il ne s'agit que d'un spectacle appelé à se terminer et pensent au long terme.
Certes, tout ne dépend pas du montant des investissements étrangers. Dans la bataille déclenchée par la réforme des retraites, il semblait que les salariés, déjà comblés par la semaine de trente-cinq heures et par de trop longues vacances, qui ont réduit à néant notre productivité, espèrent cesser de travailler le plus tôt possible et de travailler le moins possible tant qu'ils sont actifs. Mais la France, heureusement, n'est pas seulement le pays des défis qu'elle lance à l'autorité ni de sa détestation des détenteurs du pouvoir. Raquel Garrido, de la France insoumise, a relayé un commentaire des réseaux sociaux exigeant, comme pour Louis XVI, qu'Emmanuel Macron soit guillotiné. Elle a été aussitôt ardemment défendue son compagnon, Alexis Corbière, lui aussi ci-devant LFI, mais personne ne réclame qu'elle soit châtiée. On peut quand même se demander si l'initiative de Mme Garrido est de bon goût et, surtout, si, en commettant avec délice un anachronisme, elle ne rêve pas encore d'un monde révolu.
Un État social.
M. Macron va bien, merci. Le même jour, lundi dernier, il recevait deux cents grands entrepreneurs, en route pour Davos, qu'il a attrapés par le revers du veston et auxquels il a exposé tous les avantages qu'il y a à investir en France. Qui est le plus patriote, celui qui s'acharne à abîmer son pays, ou celui qui en vante les mérites ? Ce n'est pas, encore une fois, que les doléances des nouveaux sans-culotte soient totalement irrecevables, c'est que, sans les réformes, la France n'aurait pas pour le monde le même pouvoir de séduction. Que le peuple enflammé s'érige contre ce concept, c'est bien son droit. Mais, au-delà des films d'horreur qu'on nous joue dans la rue plus qu'à la télévision, il faut bien raisonner un peu. Quelque cinq cents emplois créés du côté de Valenciennes, c'est bon à prendre ; du travail pendant dix ans pour les milliers de salariés des chantiers navals et des sous-traitants, c'est préférable à une grève illimitée ; et, pour tout dire, à choisir entre le nihilisme de ceux qui font de leur retraite l'alpha et l'oméga du combat social et le dynamisme des créateurs d'entreprises, c'est aussi notre droit de choisir la seconde proposition.
Il ne s'agit nullement de faire l'éloge de l'action du gouvernement, dont les erreurs de communication et les fautes de gestion ont été multiples. Il s'agit des cartes que nous avons touchées dans un monde qui ressemble au poker menteur. Les Français, pas tous, mais presque, se sont mis à la place des manifestants et des grévistes. Ils ont soutenu et les gilets jaunes et les syndicats. Mais peuvent-ils exiger et obtenir que notre économie devienne dirigée et planifiée ? Peuvent-ils réclamer le remplacement du marché par un système marxiste ? Combien de fois faudra-t-il leur rappeler l'échec de cette expérience ? Alors que des pistes vers moins d'inégalités sont explorables et que, déjà, nous consacrons 56 % de notre produit national aux dépenses de l'État dans un pays qui compte quinze millions de retraités ?