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Dossier

Congrès européen d’urologie 2019

La lithiase urinaire en plein boom

Publié le 10/05/2019
La lithiase urinaire en plein boom

Lithiase
ZEPHYR/SPL/PHANIE

Témoin de l’environnement et des habitudes alimentaires des populations, la lithiase urinaire évolue. Avec à la fois une fréquence en hausse, mais aussi l’émergence de nouveaux types de calcul et le développement de moyens thérapeutiques de plus en plus performants. Autant de mutations détaillées lors du dernier congrès européen d’urologie (EAU, 15-19 mars Barcelone).

[Du 5 au 23 août, Le Généraliste republie chaque jour l’un des dossiers qui ont marqué l’année. Celui-ci a été publié le 10/05]

Une fois n’est pas coutume, cette année, le congrès européen d’urologie (EAU, 15-19 mars 2019, Barcelone) a fait la part belle aux lithiases urinaires. De mieux en mieux comprises, ces pathologies sont aussi de plus en plus fréquentes, comme l’ont souligné plusieurs experts.

Trois fois plus de cas en 40 ans

En 40 ans, la prévalence de la maladie lithiasique a ainsi triplé, atteignant désormais près de 10 % de la population. L’épidémie actuelle d’obésité et de diabète pourrait expliquer en partie la hausse observée. En effet, les liens entre ces trois entités sont de mieux en mieux démontrés : « l’hyperinsulinisme, mais également l’insulinorésistance entraînent une acidification inadaptée des urines avec une multiplication par trois du risque de lithiases, notamment celles d’acide urique chez le diabétique ou en cas de syndrome métabolique », explique le Pr Jean-Philippe Haymann, chef du service “explorations fonctionnelles multidisciplinaires (hôpital Tenon, AP-HP). Le diabète et le prédiabète sont aussi des états pathologiques où l’organisme synthétise davantage d’oxalate, avec une majoration de l’oxalurie, indépendamment des apports alimentaires. « D’où l’augmentation de la prévalence et de la récidive de la lithiase dans cette population. »

Des lithiases d’un nouveau genre

Autre facteur pointé du doigt, l’émergence de calculs d’oxalate de calcium d’un nouveau genre, dits mono-hydratés, dont la part explose dans la population des lithiasiques, passant de moins de 20 % au début des années 90 à près de 60 % actuellement. Les adolescents et les jeunes adultes sont les principaux concernés.

Contrairement aux calculs d’oxalate classiques (dihydratés) qui prennent naissance au niveau des cavités pyélocalicielles et de l’uretère principalement, ces lithiases se forment à partir de la papille rénale. Afin de concentrer les solutés selon les apports alimentaires et hydriques, cette dernière se caractérise par un flux sanguin ralenti. Le flux tubulaire est lui aussi réduit. De ce fait, en cas d’urines sursaturées en solutés, la précipitation sous forme de cristaux est d’autant plus facile. Les variations de pH mais surtout la présence ou non de solubilisateurs (pyrophosphates présents dans le flux tubulaire) sont alors déterminantes. En l’absence d’inhibiteurs de cristallisation, les tubules et l’interstitium se calcifient, à l’origine d’une plaque blanche de phosphate de calcium sur la papille, dite “plaque de Randall qui « va progressivement éroder l’urothélium et se trouvera exposée à l’urine », détaille le Pr Dirk Lange (Vancouver, Canada). Cette plaque servira de noyau de nucléation et l’oxalate de calcium présent dans l’urine s’y déposera.

« Cela pose la question du facteur environnemental responsable de la constitution de cette plaque chez des personnes généralement non lithiasiques, indique le Pr Haymann, générant une recherche foisonnante sur le rôle éventuel de certains régimes plus caloriques, accrus en fructose… Mais la piste la plus étayée en 2019 désigne les apports en vitamine D sous forme de bolus, devenus très largement prescrits depuis deux décennies, y compris en pédiatrie. »

Exit les régimes pauvres en calcium

Globalement, la maladie lithiasique reste dans 80 % des cas liée à la diététique. Une intervention adaptée à la composition des cristaux et aux facteurs de risques urinaires (faible volume urinaire, hypercalciurie, hyper- oxalurie, hypocitraturie) a montré un bénéfice sur la réduction du nombre de calculs rénaux, comparé à des conseils alimentaires d’ordre général. Parmi les messages essentiels figure celui de boire au moins 2 litres par jour, « quelle que soit la cause du calcul, assure Jean-Philippe Haymann, toutes les études montrant que le risque de calcul est lié à un défaut de diurèse ». En cas de facteurs favorisant les pertes extra-rénales (sport, transpiration importante, etc.) un minimum de 3 litres doit être conseillé. En cas de récidive (50 % à 5 ans, 80 % à 10 ans), un bilan urinaire (urines sur 24 h) est un moyen simple de s’assurer que cette mesure est bien suivie.

Un autre conseil, résumé par l’aphorisme « gros mangeur, gros buveur », a été confirmé par une étude parue en 2016 : plus la quantité d’aliments ingérés est importante, plus il faut boire.

Pour les lithiases calcium-dépendantes (calculs d’oxalate de calcium – 74 % des cristaux – ou calculs de phosphate de calcium – 14 %), certains conseils alimentaires peuvent être associés. Des études déjà anciennes ont acté que la restriction alimentaire en calcium ne réduit pas la constitution des cristaux, au contraire. L’une de ces études avait confirmé à 5 ans une différence de 55 % de l’incidence des calculs entre un groupe suivant un régime pauvre en calcium versus un régime pauvre en sel et en protéines. « C’est contre-intuitif, reconnaît le Pr Haymann, mais contrairement à ce qui était préconisé jusque dans les années 90, il ne faut pas astreindre les patients à un régime pauvre en calcium mais au contraire leur recommander entre un et trois laitages par jour pour un apport en calcium d’environ 1g/j, sinon le risque est au contraire de faire davantage de calculs. » Enfin, l’apport journalier en fruits est conseillé sans excès, la quantité de sel doit être limitée à 5g/j et l’apport en aliments riches en oxalates être réduit dans certains cas (maladie lithiasique active oxalo-dépendante).

En cas de cristaux de cystine (1 %) couplés à des facteurs de risques urinaires comme un pH acide, une faible excrétion urinaire et/ou une hyperuricosurie, l’objectif est de solubiliser au maximum la cystine en obtenant un pH très alcalin – entre 7 et 8. D’où la nécessité d’apporter beaucoup d’eau (environ 3 litres/j), et de tendre vers un régime presque végétalien : apport de fruits accru, légumes en grande quantité, limitation en sel (<5g/j) et en protéines animales (œufs à proscrire, peu de viande et de fromages à pâte dure). En cas de cristaux d’acide urique (9 % des cristaux), liés à des urines trop acides en rapport avec des diarrhées, un diabète ou un syndrome métabolique, il faudra ajouter des eaux gazeuses riches en bicarbonate (voire des compléments alimentaires en gélules de bicarbonate ou de citrate de potassium).

Les plantes plébiscitées mais pas validées

Enfin, à ce jour, bien que les plantes soient prisées par les patients lithiasiques, aucune n’a réellement démontré sa capacité à réduire l’incidence des calculs ou à ralentir leur constitution. « L’avantage des infusions de plantes serait de majorer la diurèse, indique le Pr Haymann, mais le problème viendrait de celles qui contiennent de grandes quantités d’oxalate, comme le thé. » Des études récentes ont cependant montré que le thé vert ou noir consommé avec parcimonie ne semblait pas être un facteur délétère. D’autres travaux suggèrent même que boire du thé pourrait être utile pour limiter la survenue de calculs calciques, mais cela reste à confirmer. Dans l’hypothèse d’une composante inflammatoire de la maladie lithiasique, les plantes pourraient aussi s’avérer intéressantes si elles apportent des anti-oxydants, comme le thé vert. 

Un nouveau laser contre les calculs

Si la lithotritie extracorporelle reste une option de choix pour le traitement des lithiases urinaires, elle est de plus en plus concurrencée par l’endoscopie urinaire qui connaît un essor considérable grâce à la miniaturisation des urétéroscopes et à l’amélioration des appareils de fragmentation endoscopiques. À ce titre, le laser Holmium YAG s’impose depuis les années 90, avec cependant deux bémols : un temps assez long de fragmentation et l’obtention de morceaux relativement grossiers, difficiles à évacuer spontanément. Deux écueils que le laser Thulium devrait permettre de contourner. Avec ce nouveau venu, qui promet de bouleverser rapidement les pratiques, le temps d’intervention est divisé par trois. Autre avantage, la possibilité d’utiliser des fibres beaucoup plus fines (150 microns) qui, en produisant des micro-impacts grâce à de très hautes fréquences, vont pulvériser la lithiase en microparticules. « Ce nouveau laser comble toutes nos attentes », assure le Pr Olivier Traxer (hôpital Tenon, Paris) qui le teste depuis plus d’un an en laboratoire. Ses performances seront à confirmer dans la vraie vie, dès l’obtention du marquage CE attendu prochainement.


Hélène Joubert